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Le blog d'Alain Boublil

 

La dette, encore la dette

Dans un mois, les trois principales agences de notation vont se prononcer sur la note de la France, déjà mise par deux d’entre elles sous perspective négative. Il est probable qu’une dégradation intervienne à un moment où les besoins de financement de l’Etat pour l’année en cours vont atteindre un niveau record avec 285 milliards d’obligations à placer. Les comptes publics pour l’année 2023 vont être actualisés. Un déficit de 4,9% avait été annoncé mais la dernière publication officielle le situe à 5,5% du PIB. Contrairement aux objectifs annoncés et aux engagements pris, la France aura donc connu en 2023 une aggravation de sa situation financière.

Le ratio entre le déficit et le PIB a subi une double évolution négative. Le dénominateur, le PIB, a connu une croissance moins importante que prévue, ce qui a généré des recettes fiscales plus faibles et donc, au numérateur, un déficit plus élevé alors qu’aucune mesure d’économie dans les dépenses n’était opérée. Le ratio d’endettement public, supérieur à 110% du PIB a été affecté de la même façon par un déficit public plus élevé et une croissance du PIB plus faible. L’exercice 2023 aurait dû constituer une étape dans le redressement des finances publiques de la France. Il s’est traduit au contraire par une dégradation qui ne pourra pas laisser indifférentes les agences de notation.

L’année 2024 ne s’annonce pas mieux. L’économie a stagné au 2ème semestre 2023. L’acquis de croissance, à la différence de l’an dernier, est donc très faible et le gouvernement devrait annoncer une révision à la baisse de ses prévisions avec une croissance inférieure à 1%. C’est dans ce contexte que le ministre des Finances a annoncé un programme de réduction des dépenses publiques de 10 milliards en alertant l’opinion sur la gravité de l’endettement du pays. Ce message alarmiste est traditionnel quand on veut faire accepter des mesures impopulaires. Mais ce discours est paradoxal à la veille des décisions des agences de notation car elles seront plus influencées par l’analyse critique faite de la situation financière du pays que par les modestes mesures annoncées pour y remédier.

Le gouvernement n’est pas le seul responsable de cette dégradation. La hausse des taux d’intérêt a alourdi la charge de la dette publique de près de quinze milliards en deux ans. Le surcoût provient d’abord des taux à court terme sur les Bons du Trésor. Ils avaient été nuls et même parfois négatifs ces dernières années. Ils représenteront une charge supérieure à 5 milliards cette année. Le coût de l’indexation sur l’inflation de la zone euro de l’emprunt arrivant à maturité au mois de juillet pourrait approcher 6 milliards. L’avantage procuré par l’amortissement des emprunts passés ayant des taux élevés et leur remplacement par des emprunts à taux plus faibles va disparaître alors que l’Etat et les collectivités publiques devront subir les conséquences de taux désormais proches 3% sur les emprunts à venir.

Malgré ce contexte défavorable, les investisseurs témoignent d’un très fort appétit pour les titres de la dette française et chaque émission fait l’objet de demandes deux à trois fois supérieure à ce qui est offert. Le taux sur les emprunts à dix ans (2,85%) reste bien inférieur aux taux italiens ou espagnols et l’écart avec l’Allemagne a plutôt tendance à se réduire. Le spread sur cette échéance avait frôlé l’an dernier 60 points de base et il est redescendu autour de 45 points. L’explication est simple. Le niveau de la dette publique n’est pas le seul indicateur à prendre en compte, il convient de mesurer la capacité de remboursement du pays et d’intégrer le fait que la Banque Centrale Européenne a été dans le passé le premier souscripteur et détient, selon l’Agence Bloomberg, environ 30% des titres de l’Etat, à la suite des programmes de soutien adoptés durant l’épidémie de la Covid-19 et prolongés jusqu’à la fin de l’année pour le réinvestissement des titres arrivés à maturité.  

L’autre facteur rassurant est le très haut niveau de l’épargne financière des ménages qui a persisté durant l’année 2023 et a atteint au 4ème trimestre 7% du revenu disponible brut. Celui-ci se situait dans le passé entre 3 et 4%. Il traduit l’inquiétude des ménages face à l’avenir, ce qui pèse sur la croissance puisque ceux-ci investissent moins pour acquérir un logement ou pour consommer. Le niveau de leurs actifs financiers, l’assurance-vie, les différents plans d’épargne et les dépôts dans les banques, dépassait 6 300 milliards d’euros, soit presque le double de la dette publique au sens de Maastricht qui s’élevait à la fin du 3ème trimestre 2023 à 3 088 milliards. L’argument suivant lequel cette génération va transmettre à la suivante cette lourde dette est donc fallacieux puisqu’en même temps que la dette, elle héritera de quoi la rembourser et qu’en outre rien ne s’opposera à ce qu’elle aussi la transfère à ses successeurs.

On compare souvent cette situation avec celle de l’Allemagne. Mais on oublie deux facteurs essentiels. Durant des décennies notre voisin a dépensé beaucoup moins d’argent public pour assurer sa défense et ses habitants ont un régime de retraite en partie par capitalisation ce qui gonfle artificiellement le niveau de leur épargne. Le débat sur la dette est donc faussé et sert à masquer un autre débat hautement plus important concernant l’utilisation de l’argent public. La persistance de déficits élevés résulte pour beaucoup d’erreurs de politique économique et de la bureaucratisation croissante de la société française, ce qui affecte la productivité et la croissance.

La persistance d’une politique de l’offre, coûteuse pour les finances publiques, depuis dix ans est injustifiée puisqu’elle a fait la preuve de son inefficacité. Les échanges de produits industriels sont de plus en plus déficitaires et elle n’a pas empêché des grands groupes ayant parfois l’Etat au capital comme Renault de procéder à des délocalisations ou à des acquisitions ruineuses à l’étranger qui les ont mis en péril ou les ont fait passer sous contrôle étranger.

Autre exemple, la politique de l’énergie avec l’abandon de la priorité au nucléaire comme outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’indépendance et la fermeture de Fessenheim, a coûté à l’Etat des dizaines de milliards d’euros et a affecté la compétitivité des secteurs industriels tributaires de l’électricité. L’exigence actuelle, elle aussi coûteuse, de réindustrialisation, serait bien moins justifiée si toutes ces erreurs n’étaient pas intervenues.

Enfin, la bureaucratisation croissante de la vie quotidienne des entreprises comme des ménages pèse sur la productivité et le pouvoir d’achat à un moment où la dégradation des services publics n’a jamais été aussi perceptible alors que ceux-ci continuent de bénéficier de transferts publics massifs. Il en résulte une panne d’investissements de la part des entreprise et un comportement d’inquiétude de la part des ménages que leur situation financière ne justifie pas pour une très large majorité d’entre eux. Ainsi s’est engagé un cycle de déséquilibre auto-entretenu des finances publiques où tout le monde est perdant.

Le niveau de la dette publique fait peur et c’est compréhensible. Mais il ne présente pas de risques immédiats. Grace à l’euro, il n’y a pas besoin de recourir à des emprunts à l’étranger et si une dégradation par les agences de notations devait se traduire dans l’avenir par un alourdissement de la charge de la dette, cela rendrait encore plus indispensable une réévaluation des politiques publiques et une réorganisation administrative pour en réduire les coûts excessifs et l’efficacité insuffisante.