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Le blog d'Alain Boublil

 

2024 : l'année du Dragon

Le calendrier chinois, à travers un cycle de douze ans, donne à l’année en cours le nom d’un animal. Ainsi 2024 sera l’année du Dragon; en 2022, ce fut l'année du Tigre. En France ce qualificatif avait été donné à un homme d’Etat, Georges Clémenceau. Cette année ne fut pourtant pas « l’année Clemenceau » car on attribua à sa proximité avec le Japon le transfert à ce pays des concessions allemandes en Chine lors des négociations en 1919 qui allaient aboutir au Traité de Versailles. Cette humiliation majeure ne sera pas sans lien avec les mouvements politiques et sociaux qui déboucheront sur la guerre civile, la Longue Marche et l’avènement du communisme. Le grand rival de Mao, Tchang-Kai-shek s’enfuira alors à Formose qui deviendra Taiwan.

La Chine, en 2024 va être confronté à plusieurs défis majeurs et le premier d’entre eux est précisément l’évolution de ses relations avec Taiwan. La communauté internationale, et notamment les Etats-Unis à la suite de l’accord négocié entre Henry Kissinger et son homologue à l’époque, Chou-en-lai, considère qu’il n’y a qu’une seule Chine. Les dirigeants de ce pays se sont fixés comme objectif, d’ici l’anniversaire des cent ans de la République Populaire en 2049, de réintégrer l’île, comme ce fut le cas avec Hong-Kong. Mais cette volonté se heurte à l’hostilité des pays occidentaux. Elle a provoqué de vives tensions avec les Etats-Unis et est loin de faire l’unanimité au sein de l’île elle-même.

Des élections présidentielles se tiendront au courant du mois de janvier à Taiwan. Deux partis dominent la vie politique, le parti démocrate actuellement au pouvoir qui se dit déterminé à conduire à l’indépendance, mais sans se fixer de calendrier précis et le Kuomintang, fondé par Tchang-Kaishek qui est favorable sinon à l’intégration dans la Chine, du moins à un rapprochement progressif, ce qui peut paraître paradoxal compte tenu du passé. C’est un membre de ce parti qui a largement gagné la dernière élection à la mairie de Taipeh et le résultat de la présidentielle est très incertain. Le premier des grands défis pour Pékin en 2024 va donc être de gérer ses relations avec Taiwan en fonction du résultat de cette élection, sous l’œil de la communauté internationale. Les entreprises de l’île ont des positions stratégiques dans les nouvelles technologies ce qui n’a pas échappé aux Etats-Unis qui voient la Chine comme un concurrent économique majeur. L’avenir de ces entreprises peut donc être affecté en cas de tensions ce qui aurait des répercussions dans de nombreux autres pays.

Le second défi pour les dirigeants chinois est de nature politique. L’exceptionnelle période de croissance qu’a connue le pays depuis les années 80 avec les réformes initiées par Deng Xiaoping a donné naissance à des géants de la technologie cotés en bourse ce qui a permis à leurs fondateurs de devenir des milliardaires. Le sud du pays, de Shanghai à Canton en passant bien sûr par Shenzhen, est devenu une nouvelle Californie, d’où cet extraordinaire paradoxe : le régime communiste réputé le plus rigoureux du monde est à la tête d’une économie dont les entreprises privées n’ont rien à envier à celles des régimes capitalistes les plus libéraux.

Cela a conduit les dirigeants de Pékin à prendre des mesures sévères, parfois à l’encontre de certains des dirigeants de ces entreprises, pour corriger une situation qu’ils qualifiaient d’excessive. Cela a eu une conséquence immédiate sur les marchés financiers en créant un sentiment de défiance qui a dissuadé les opérateurs internationaux d’investir dans le pays ou quand ses entreprises voulaient lever des fonds à l’étranger, de souscrire à ces opérations. Dans un environnement déjà marqué par les tensions à propos de Taiwan et par la montée des protectionnismes, ce virage a contribué au ralentissement de la croissance chinoise. Le défi auquel est maintenant confronté Pékin est donc de retrouver un bon équilibre entre les exigences du développement économique du pays et les conceptions idéologiques qui animent ses dirigeants.

Cela est d’autant plus important que ces dernières décennies ont été marquées par une mondialisation sans précédent dont la Chine a été à la fois l’un des principaux moteurs et certainement son principal bénéficiaire. Mais la crise sanitaire et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont remis en question ce modèle mondial fondée sur une paix universelle qui n’existe plus et sur des flux croissants de biens à travers le monde dont la sécurité ne peut plus être garantie. 2024 doit donc être en Chine l’année de la prise en conscience de cette transformation du monde et de l’adoption des mesures qui permettront aux entreprises industrielles chinoises d’entamer leur mutation pour s’adapter aux contraintes de ce nouvel environnement.

Le modèle « Chine, usine du monde » pour toutes ces raisons devra donc être progressivement abandonné. Les entreprises chinoises ne pourront plus avoir comme vocation d’être les sous-traitants ou les simples fournisseurs des grands groupes basés aux Etats-Unis ou en Europe. Elles devront apprendre à concevoir, à produire puis à vendre sur les marchés extérieurs les produits qui correspondent à la demande de clients situés partout dans le monde, avec leurs propres marques. Le mouvement a été enclenché dans l’automobile et les grands constructeurs chinois, grâce à leur avance dans les véhicules électriques, n’hésitent plus à produire et à proposer leurs modèles sur le marché européen et envisagent même d’accéder au marché américain malgré les barrières protectionnistes qui sont en train d’être érigées. Mais cela nécessitera d’importants investissements et des efforts pour identifier ce qui répond aux attentes de centaines de millions de nouveaux consommateurs qui n’ont pas forcément les mêmes goûts que leurs homologues chinois.

Ces transformations nécessaires vont devoir être accomplies dans un contexte politique plus tendue et dans une conjoncture moins favorable que par le passé. Des signes d’accélération de la reprise en cette fin d’année sont intervenus, avec un rebond des ventes de détail en novembre (+10%), de la valeur ajoutée dans l’industrie (+6%) et une accélération chaque mois de la consommation d’électricité (+6,3% contre +5% en moyenne durant le 1er semestre). Mais l’investissement des entreprises progresse moins vite (+3%), les investissements directs venant de l’étranger plongent (-10%) tout comme l’activité dans l’immobilier (-9,4%). Le gouvernement, qui dispose des ressources financières suffisantes, va devoir lancer en 2024 une politique de soutien de l’activité pour créer un contexte intérieur favorable et atténuer les conséquences d’un environnement international dégradé.

La banque centrale en assouplissant encore ses conditions de financement a fait un premier pas. Il reste à l’Etat de lancer des programmes d’investissement, notamment dans la transition énergétique, suffisamment importants pour compenser les effets de la crise immobilière. Ses recettes fiscales ont été en hausse de 9% en 2023 ce qui autorise des mesures en faveur de la consommation des ménages et de la reprise de la natalité. La Chine est confrontée au vieillissement de sa population, ce qui pourrait un jour conduire à des pénuries de main d’œuvre. L’année 2024 pourrait être l’occasion de lancer une vraie politique familiale. Ses effets n’interviendraient qu’à long terme mais cela aurait aussi des effets immédiats sur la consommation des ménages.

L’année du Dragon ne sera pas pour la Chine une année facile, aussi bien sur le plan international avec l’évolution de la situation à Taiwan que sur le plan intérieur avec les multiples défis à relever. Les Quarante Glorieuses sont arrivées à leur terme. Les progrès accomplis ont été spectaculaires. Mais le moment est venu de bâtir un nouveau modèle de croissance.