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Le blog d'Alain Boublil

 

La défaite de la "patapolitique"

Le premier tour de l’élection présidentielle en France a été moins conforme aux prévisions des instituts de sondages et des médias que ceux-ci essayent de le faire croire. La participation est restée élevée. Comme la population en âge de voter ne cesse d’augmenter, le nombre réel d’électeurs qui se sont déplacés a lui aussi augmenté, et c’est vrai des jeunes, dont on nous a répété sans cesse qu’ils n’étaient pas motivés et qu’ils ne trouvaient pas dans l’offre politique la réponse à leurs attentes. Ensuite, le score de Marine Le Pen est inférieur à tout ce qui était annoncé. Elle termine en deuxième position talonnée de près par François Fillon et même par Jean Luc Mélenchon. Il n’y a pas si longtemps, elle était donnée largement en tête. Enfin, les Français, se sont prononcés sur le programme des candidats, contrairement à la couverture médiatique qui a fait la part belle depuis des mois à leurs personnalités.

Le grand perdant a ainsi été la patapolitique, cette pratique qui consiste à proposer des solutions politiques imaginaires aux français pour répondre à leurs inquiétudes et leur faire croire que l’on est attentif aux causes de leur mécontentement. La palme revient sans aucun doute à Benoît Hamon, à son revenu universel, à son credo écologiste et aux effets magiques d’une politique de relance. Son score désastreux est le résultat de l’incapacité du Parti socialiste à élaborer une politique qui réponde aux nouvelles contraintes auxquelles est soumise notre pays, comme d’ailleurs tous les autres, et à convaincre les français que cette réponse est appropriée. Cet échec ne reflète pas une crise du système des partis, dont il faut rappeler que leur rôle est reconnu par la Constitution dans son article 4, et encore moins l’annonce de leur prochaine disparition. Il traduit l’incapacité d’un parti politique à se doter  d’instances de réflexion, d’y attirer suffisamment de talents pour que le débat soit assez riche pour formuler, à l’attention de ses dirigeants, les propositions qu’ils soumettront au pays. Cette incapacité n’est pas nouvelle : elle s’est manifestée depuis l’échec de Lionel Jospin en 2002. Rien n’a été alors entrepris pour combler ce vide politique alors que le monde changeait et que les français avaient besoin qu’on leur explique les conséquences que ce changement allait avoir sur leurs comportements et leurs choix. La reconstruction de la gauche passe par une reconstruction de la pensée de gauche en tenant compte du phénomène irréversible constitué par l’ouverture de la France sur le monde.

La droite n’a pas fait mieux. Il y a dans l’élimination de François Fillon une dimension personnelle mais la réduire aux conséquences des « affaires » serait faire preuve d’aveuglement. C’est son programme, les solutions qu’il a proposées qui n’ont pas convaincu parce qu’elles apportaient des bienfaits tout aussi imaginaires que ceux qu’avaient proposés Benoît Hamon. Quand l’un proposait le rêve, l’autre essayait de convaincre que l’avenir devait ressembler à un cauchemar. Faire croire qu’inciter les salariés qui ont un emploi à travailler davantage sans être mieux payé  permettra de recruter ceux qui sont au chômage relève du phantasme. Le mouvement d’innovation qui est tout aussi irréversible que la mondialisation ne faiblira pas dans l’avenir et sa principale conséquence sera de réduire le travail humain au profit de machines de plus en plus sophistiqués voire de systèmes automatiques utilisant l’intelligence artificielle. Imaginer que cela permettra de créer autant d’emplois que cela en détruira est aussi stupide que de prétendre que la fabrication des tracteurs a compensé, dans le passé, la réduction des emplois dans l’agriculture. Tout aussi imaginaires sont les bienfaits de la baisse massive du nombre d’emplois publics. Ce n’est qu’à la fin de sa campagne que François Fillon a fait la distinction entre la bureaucratie hypertrophiée de l’administration française et les services publics indispensables et exemplaires que la plupart des pays du monde nous envient. En se démarquant de ce programme aussi impopulaire qu’inadapté à la société française, la droite peut revenir dans le jeu politique à l’occasion des élections législatives. Le retrait de François Fillon de la prochaine campagne va dans ce sens.

L’extrême gauche a fait pire. Ses solutions imaginaires ont attiré l’attention mais pas suffisamment pour participer au débat final. Faire de la France un pays non-aligné, replié sur lui-même après la sortie des traités européens et des accords de libre-échange, croire qu’en une génération nous pourrons nous passer des énergies fossiles ou que la relance écologique permettra de créer en cinq ans « l’essentiel des trois millions d’emplois que son programme permet », tout cela constitue un bel échantillon de ce que la « patapolitique » peut produire. Il est assez inquiétant qu’il y ait eu sept millions de français pour croire que cela apporterait une réponse à leurs difficultés. Mais il est encore plus choquant que le candidat qu’ils avaient choisi et qui se réclamait « du peuple » après un long parcours politique comme élu « de gauche » n’ait donné jusqu’à présent aucune consigne de vote pour le second tour, même pas à titre personnel, et renoncé ainsi à faire barrage au Front national. La dérive populiste de Mélenchon rappelle de bien pénibles souvenirs, quand d’anciens socialistes et d’anciens communistes finirent par collaborer avec l’occupant. On ne peut,  ni aujourd’hui ni hier, se réclamer « de gauche » et refuser de combattre l’extrême-droite, même si celle-ci fait mine de se dissimuler derrière un programme économique qui a l’apparence de répondre à de justes revendications mais qui, s’il était appliqué, plongerait le pays dans le chaos et dont les premières victimes seraient précisément ceux que prétend représenter Jean Luc Mélenchon.

La qualification de Marine Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle et son inéluctable défaite montreront bien les limites de la « patapolitique ». Elle ne convaincra pas une majorité d’agriculteurs qu’en sortant de l’Europe ils surmonteront leurs difficultés alors qu’ils sont les premiers bénéficiaires de la politique agricole commune. Elle ne convaincra pas davantage les salariés des entreprises qui exportent que leur situation sera améliorée si on ferme les frontières puisque cela aboutirait à mettre en grave difficulté leur entreprise. Elle sera repoussée par les millions d’épargnants qui auront vite compris que le retour au franc signifiera pour eux un appauvrissement immédiat quand cela ne mettra pas en péril leurs systèmes de retraite complémentaire. Elle sera enfin rejetée par tous ceux qui ne veulent pas que leur pays se referme sur lui-même, renie son histoire et ses traditions et porte atteinte à son rayonnement international.

Le programme d’Emmanuel Macron est peut-être insuffisamment précis et manquant d’imagination. Il ne fait pas rêver. Mais il a un avantage essentiel, et c’est la raison pour laquelle son inspirateur est arrivé largement en tête lors du premier tour : il comble le vide né de l’incapacité des partis politiques à élaborer des propositions crédibles et répondant aux aspirations des français. A ceux-ci, dans la perspective des élections législatives de le combler. A défaut, ils seront à nouveau éliminés.