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Le blog d'Alain Boublil

 

Quatre erreurs économiques majeures de la France

La science économique repose souvent sur des raisonnements. Ils peuvent se révéler justes et les autorités qui ont prises les décisions qui s’y référaient et leurs populations en tirent les bénéfices. Mais elles peuvent aussi déboucher sur des échecs lourds de conséquences. Cela n’est pas nouveau et cela ne concerne pas seulement la France. Il y a un siècle, Keynes, alors membre de la délégation britannique qui négociait ce qui deviendra le Traité de Versailles démissionna car il estimait que les sanctions infligées à l’Allemagne étaient trop lourdes et pouvaient plonger ce pays dans la crise. On connait la suite avec la dépression et l’hyperinflation qui ne furent pas sans lien avec l’arrivée au pouvoir du nazisme. Il y a quelques années, les dirigeants britanniques estimèrent que l’appartenance à l’Union Européenne présentait plus d’inconvénients que d’avantages et proposèrent d’en sortirent en organisant un référendum. Ce fut le Brexit qui affaiblit chaque jour davantage le Royaume-Uni confronté à une aggravation de ses déficits, à l’inflation et à une chute de la livre, environnement qui a, en plus, pénalisé la City.

Au lendemain de la guerre, tout en construisant un ambitieux système de protection sociale, l’Etat estima qu’il lui revenait de contrôler les prix des biens et des services. Ce sera l’Ordonnance de 1945. Pendant près de 40 ans, les entreprises durent négocier avec le ministère des finances les augmentations qu’elles estimaient nécessaires, depuis la baguette de pain jusqu’aux loyers et aux tarifs des hôtels. Cette méthode, croyait-on, permettait de protéger les agents économiques contre l’inflation. Ce fut un échec total qui nuisit à la réputation de la France au sein de la Communauté Economique Européenne au moment où l’on créait le Système Monétaire Européen imposant des parités fixes entre Etats-membres. En 1980, après le deuxième choc pétrolier, l’inflation avait atteint 14%. Il faudra attendre 1984 et les réformes initiées par Pierre Bérégovoy et poursuivies par tous les gouvernements suivants pour que les entreprises aient enfin la possibilité de fixer librement leurs prix.

La concurrence, bien plus que l’appareil bureaucratique, était en mesure d’assurer la stabilité et dans de nombreux domaines des baisses de prix favorables aux consommateurs et à leur pouvoir d’achat. La France devint progressivement l’un des bons élèves de l’Europe et la crise actuelle en apporte la preuve avec un taux d’inflation inférieur de trois points à la moyenne européenne alors que partout ont été mis en place des dispositifs de plafonnement voire des blocages de prix dans les secteurs les plus exposés. Le processus ayant été initié par la gauche, elle fut accusée de trahir ses engagements en adhérant à l’idéologie libérale alors qu’il ne s’agissait que de bon sens et d’un raisonnement économique juste.

Mais ce raisonnement connait des exceptions. La France a accepté l’ouverture à la concurrence des grands services publics dans les secteurs de l’énergie, du transport et des télécommunications. Cette ouverture restait limitée puisqu’il ne pouvait être question de remettre en cause les statuts des grandes infrastructures. On n’allait pas construire de nouvelles lignes de TGV à côté de celles qui existaient et multiplier les lignes électriques à haute tension. Mais les conséquences pour les opérateurs ont été souvent sévères sans que les consommateurs en tirent un réel avantage.

Les dirigeants de ces entreprises ont commencé par se lancer dans une vague d’acquisitions coûteuses à l’étranger. L’argument était simple : comme elles allaient perdre des parts de marché dans leur pays d’origine, il fallait le compenser par des gains à l’étranger. Le résultat a été un fort accroissement de l’endettement allant jusqu’à mettre en péril la situation de l’entreprise, le cas le plus significatif étant France Télécom devenu Orange. Mais les consommateurs, contrairement à l’objectif initial, n’en tirèrent aucun bénéfice car les entreprises, en plus des charges financières résultant de leurs acquisitions, durent engager de nouvelles dépenses de fonctionnement avec le renforcement des fonctions commerciales et les budgets de publicité qui allaient avec et ils les répercutèrent sur leurs clients.

Dans le secteur de l’électricité, l’Etat approuva l’obligation faite à EDF de céder à ses concurrents une partie de sa production nucléaire à un coût très inférieur à celui du marché. L’absurdité d’une telle mesure est apparue quand on a constaté que nombre de nouveaux distributeurs d’électricité préféraient résilier les contrats de leurs clients pour revendre cette électricité acquise à bon compte sur le marché en réalisant des profits considérables. Au même moment, EDF devait importer au prix fort l’électricité qui lui manquait pour satisfaire ses propres clients.

Troisième erreur majeure, le choix fait en 2013 avec le CICE d’alléger les charges sociales des entreprises en concentrant cette mesure sur les bas salaires. L’objectif était de réduire le coût du travail pour restaurer la compétitivité et réduire le déficit commercial qui s’aggravait continuellement depuis 2002, dernière année d’excédent hors énergie, et pour freiner le mouvement de délocalisation en cours. L’échec est patent puisque ce déficit n’a cessé de s’accroître ces vingt dernières années. Les dizaines de milliards pris en charge par l’Etat ont dû être couverts par des impôts sur les ménages, ce qui a pesé sur la croissance et sur l’emploi, et par une augmentation de la dette publique. Les principaux bénéficiaires de cette décision furent la grande distribution et les activités de services non soumises à la concurrence internationale. L’industrie qui était visée n’en a que peu profité car les emplois très qualifiés dont elle dépendait pour s’imposer face à ses concurrents ne pouvaient en bénéficier et sa part dans le PIB a continué de reculer.

Enfin la fermeture de le centrale nucléaire de Fessenheim restera comme l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. C’était apparemment une décision politique destinée à recueillir les voix écologistes et à faire plaisir à l’Allemagne qui venait de décider l’arrêt de ses propres centrales et vers laquelle une bonne part de la production de Fessenheim était exportée. Mais au fond, ce qui était en jeu c’était le rôle du nucléaire dans la production française d’électricité. L’Etat ne croyait plus en son importance et surtout en son avenir. Les arguments invoqués (ancienneté, risques sismiques ou crainte d’inondations du fait de la proximité du Rhin) ne tenaient pas puisque l’Autorité de Sûreté Nucléaire, généralement très pointilleuse, avait renouvelé l’autorisation d’exploitation.

On en mesure les conséquences aujourd’hui. La France a toujours été exportateur net d’électricité. Elle est devenue importatrice du fait de l’indisponibilité d’une partie du parc et la situation a été fortement aggravée par la fermeture de Fessenheim. Le gouvernement a admis son erreur implicitement puisqu’il a abandonné l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50% et a demandé à EDF de lancer des chantiers pour construire au moins six nouvelles centrales. Mais le coût de cette erreur reste à chiffrer et elle n’a toujours pas été reconnue par ceux qui l’ont commise.

Toutes ces décisions, depuis le contrôle des prix qui devait permettre de lutter contre l’inflation, jusqu’au déni de l’importance du nucléaire pour l’indépendance et la sécurité énergétique de la France en passant par l’ouverture des services publics à la concurrence et la fermeture de Fessenheim, ont été prises au nom de raisonnements économiques qui se sont révélés faux. Si l’on veut que de telles erreurs ne se reproduisent pas dans l’avenir, il est essentiel que les décideurs politiques l’admettent. Les « experts économiques » doivent donc faire preuve de modestie et de vrais débats de fond doivent être organisés.    

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