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Le blog d'Alain Boublil

 

La nouvelle carte du gaz naturel

Les menaces pesant sur l’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel, la très forte hausse des prix qui en résulte et les risques d’une rupture des fournitures destinées à des industries essentielles, rappellent les crises pétrolières des années 70. Le prix du baril, en moins de dix ans, passa de 3 à 30 dollars. La création de l’OPEP permit de maintenir ce niveau des prix et un embargo des livraisons aux pays européens fut même décrété. Le gaz naturel est ainsi devenu aujourd'hui une énergie fossile stratégique au même titre que le pétrole il y a quarante ans.

La cause principale de cette crise est la dépendance européenne au gaz russe. Plusieurs pays comme l’Allemagne et l’Italie, au lieu de diversifier leurs sources d’approvisionnement, ont choisi cette politique, en pensant que cela favoriserait leurs entreprises. Mais en réponse aux sanctions prises à la suite de l’invasion de l’Ukraine, Moscou a réduit très fortement ses livraisons en utilisant des prétextes peu crédibles comme la nécessaire maintenance des gazoducs ou le non-paiement régulier de ses factures. Cela a provoqué une envolée des cours. La réglementation européenne de l’énergie, en liant les prix de l’électricité aux cours du gaz naturel a aggravé la situation. L’Europe est confrontée à la fois à une crise inflationniste sans précédent depuis quatre décennies et à une menace sérieuse sur la capacité de plusieurs pays à disposer de suffisamment de ressources pour passer l’hiver.

A cet égard les propos rassurants sur la reconstitution des stocks de gaz naturel sont peu convaincants car il ne faut pas se tromper sur leur rôle. Durant cette période de l’année, la consommation augmente fortement. Les stocks permettent de combler l’écart entre ce surplus de demande et les flux d’importations qui eux sont en théorie stables. Mais si, comme on l’observe aujourd’hui, les flux sont en forte baisse du fait des restrictions imposées par la Russie, le recours aux stocks ne sera pas suffisant pour compenser à la fois la réduction des approvisionnements et l’augmentation de la consommation.

Le gaz naturel est donc devenu, comme le pétrole, une matière première stratégique, ce qui est une transformation majeure dans le monde de l’énergie. Elle résulte de la conjonction de deux innovations essentielles intervenues dans la production et dans le transport de cette énergie fossile. Les politiques mises en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et lutter contre le réchauffement climatique ont ensuite contribué à accroître son utilisation.

A la différence du pétrole et du charbon, le gaz naturel était à l’origine un produit difficile à transporter d’un pays à un autre. Jusqu’à récemment, le seul moyen était le recours aux gazoducs. Leur coût était très élevé et la conclusion de contrats d’approvisionnement à long terme avec les clients auxquels était destinée la production était une condition nécessaire à leur réalisation. Mais ils ne pouvaient être construits que sur la terre ou, comme North-Stream 1 et 2, sur de courtes distances sous la mer. La technologie de la liquéfaction a largement levé cette contrainte logistique et on pense qu’à terme, il ne sera pas plus difficile de transporter du gaz naturel que du pétrole. Les investissements dans la liquéfaction pourraient ainsi passer de 20 à 40 milliards de dollars entre 2020 et 2024.

La seconde innovation technologique, la fracturation, a rendu possible l’exploitation des gisements de gaz de schiste. Outre leur abondance, ils offrent une grande flexibilité opérationnelle, à la différence des gisements classiques, notamment ceux en grande profondeur, qui sont presqu’impossibles à fermer et à rouvrir en fonction des conditions du marché. Aux Etats-Unis, la production de gaz naturel s’est donc accrue en 10 ans de 50% et c’est cette nouvelle source d’énergie fossile qui a permis de réduire la part des centrales électriques au charbon au profit des centrales au gaz. Le pays a ainsi réussi à diminuer ses émissions de CO2 de façon substantielle et à devenir un exportateur majeur avec près de 100 bnm3 en 2021 alors qu’il était importateur à hauteur de 50 bnm3 en 2011. Cela a aussi permis à la Chine qui commence à exploiter ses propres gisements de gaz de schiste de freiner la croissance de la production de ses centrales à charbon. Sa consommation de gaz naturel est passée entre 2011 et 2021 de 135 à 375 bnm3 et les importations ont atteint 170 bnm3, majoritairement en provenance d’Asie centrale, d’Australie et de Russie par gazoduc ou dans les installations destinées à traiter le GNL. Ces innovations ont donc concouru à la lutte contre le changement climatique en donnant au gaz naturel une part accrue parmi les énergies fossiles dans la production d’électricité.  

Cela offre aussi au marché une plus grande flexibilité et permet momentanément d’infléchir cette tendance. Face à l’envolée des cours du gaz, les opérateurs électriques américains ont tout intérêt à revenir au charbon, ce qui libère des capacités d’exportations vers l’Europe, pour le plus grand profit des producteurs. Pour cela il sera nécessaire de construire de nouvelles unités de liquéfaction au départ, des navires pour faire le transport, et des usines à l’arrivée pour transformer le GNL. Les investissements sont prévus. On observe un phénomène analogue en Chine où les producteurs d’électricité pourraient être incités à réexporter leurs importations de gaz russe en réalisant substantiels profits mais en ralentissant la montée du gaz naturel dans le mix électrique du pays.

Le Japon, qui n’a remis en fonctionnement que dix réacteurs nucléaires depuis la catastrophe de Fukushima, a déjà décidé d’investir dans une dizaine de terminaux GNL pour réduire sa dépendance au charbon. Pour l’instant, les contrats d’exportations du gaz russe en provenance du gisement de Sakhaline ne sont pas remis en cause. Le pays pourrait aussi bénéficier du ralentissement de la demande de gaz de la Chine pour compléter ses approvisionnements.

Les données pour 2021, avant donc l’invasion de l’Ukraine par la Russie, montraient déjà que la mondialisation du marché du gaz naturel était en cours. Cette tendance va fortement s’accélérer du fait des décisions des autorités russes de réduire et même d’interrompre leurs livraisons en Europe comme récemment avec Engie. Les pays concernés s’emploient à trouver au plus vite et à n’importe quel prix de nouveaux fournisseurs de façon à rassurer leurs ménages et leurs entreprises. Mais il ne s’agit pas d’un phénomène de court terme appelé à disparaître avec la fin de la crise ukrainienne. La confiance avec la Russie a été rompue et elle n’est pas près d’être rétablie. Plusieurs pays européens ont lancé, comme aux Etats-Unis des programmes d’investissement dans les installations permettant d’accueillir du GNL, afin de diversifier durablement leurs sources d’approvisionnement.  

Cela se traduira par une augmentation des flux venant du Moyen-Orient, des Etats-Unis et du développement de relations nouvelles avec les pays d’Afrique, et en premier lieu des riverains de la Méditerranée. La solution transitoire, développée dans l’urgence notamment en Allemagne, qui consiste à relancer l’usage du charbon dans la production d’électricité, ne devra donc n’être que de très courte durée puisqu’elle remet en cause la réalisation de tous les objectifs de réduction des émissions de CO2.

La conjonction d’une crise politique majeure avec l’invasion de l’Ukraine et d’innovations technologiques facilitant partout dans le monde l’accès au gaz naturel ont transformé les marchés des énergies fossiles. Cela permettra à terme le retour à des prix accessibles du gaz qui conduiront alors à la reprise de la réduction de l’utilisation du charbon pour produire l’électricité.                     

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