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Le blog d'Alain Boublil

 

Banques centrales : la fin de l'indépendance ?

La série de crises qui a frappé les pays occidentaux depuis quinze ans avec successivement les sub-primes, le risque d’éclatement de la zone euro, l’épidémie du Covid-19 et dernièrement l’invasion de l’Ukraine par la Russie a chaque fois placé les banques centrales au cœur des dispositifs imaginés par les gouvernements pour en atténuer les conséquences économiques. Alors que leurs statuts garantissaient explicitement ou non leur indépendance et leur liberté d’action et que leurs mandats fixaient la stabilité des prix comme leur objectif principal, elles ont dû inscrire leur politique dans un contexte de coopération internationale et de cohérence avec les décisions des pouvoirs publics et leurs objectifs dans un champ bien plus large.

Elles sont ainsi sorties du rôle que la théorie économique leur avait attribué dès les années soixante, notamment grâce à leur capacité de freiner la demande en réduisant la croissance de la masse monétaire avec des relèvements de taux d’intérêt. Cela permettrait de lutter contre les déséquilibres provoqués par une demande trop forte pour être satisfaite par les appareils de production. Le cas le plus spectaculaire, et qui est encore la référence aujourd’hui, fut, après sa nomination à la présidence de la Réserve Fédérale américaine, l’action de Paul Volcker à partir de 1979 qui augmenta brutalement les taux directeurs qui dépassèrent alors 15%, ce qui allait plonger l’économie américaine dans la récession deux ans plus tard.

Le statut d’indépendance a, lui, une origine historique. L’Allemagne ne voulait plus jamais connaître l’hyperinflation des années 20 et il fallait se prémunir contre les risques d’un gouvernement trop complaisant et dont l’action pouvait à nouveau conduire à de tels excès. Ce risque n’a pas disparu dans le monde et on a continué à observer, notamment en Amérique Latine et en Asie du Sud-Est jusque dans les années 90, des crises monétaires majeures. Le renforcement du pouvoir de la banque centrale et son indépendance fut donc une condition sine qua non de l’acceptation par l’Allemagne de la création de l’euro et la France en accepta le principe.

Deux facteurs ont bouleversé les règles du jeu et ont progressivement conduit, sans pour autant que cela soit inscrit dans des textes, à élargir les champs d’action des banques centrales et surtout leur mode d’intervention. Il y a d’abord eu la mondialisation et la libéralisation des mouvements de capitaux. L’action dans le domaine monétaire d’un pays, au travers de sa banque centrale, avait des conséquences immédiates sur les flux et donc sur les marchés financiers. Le premier krach boursier international intervint au mois de décembre 1987 quand la Réserve Fédérale et la Bundesbank sans donner l’impression de s’être concertées, prirent des décisions qui furent mal interprétées.

Le second facteur, et de loin le plus important, est l’accumulation des richesses à travers le monde qui se sont placées sur les marchés financiers. Les politiques monétaires ont désormais des répercussions immédiates et bien plus importantes sur les actifs que sur la production et l’échange de biens et de services. La théorie monétaire qui avait conféré aux banques centrales ce rôle, est depuis longtemps dépassée. Désormais, leur mission, bien au-delà de la stabilité des prix, s’étend, sans que cela figure explicitement dans leur mandat, jusqu’à la stabilité des marchés financiers. Le premier exemple en a été leur action lors de la crise des sub-primes. La récession mondiale qui a suivi et la nécessaire réduction des risques pesant sur les systèmes bancaires ont conduit les banques centrales à soutenir la mise en place de politiques accommodantes et de nouvelles règles prudentielles.

Peu après, l’endettement public excessif de plusieurs pays, et notamment de la Grèce, a amené le président de la Banque Centrale Européenne, Mario Draghi, à annoncer qu’il ferait ce qu’il faut et quoiqu’il en coûte, pour préserver l’euro. Pour y parvenir, il facilita les conditions de financement des dettes et la survie des systèmes bancaires des pays concernés, et notamment de l’Irlande. La défaillance d’un de ces pays aurait atteint la crédibilité de la monnaie unique. Ces décisions constituèrent un précédent essentiel qui ouvrit la voie à la BCE et à son président pour agir désormais en faveur de la solvabilité des pays membres et de la stabilité financière de la zone euro. Durant toute la période qui suivit, la question de l’inflation ne fut plus d’actualité puisque celle-ci avait quasiment disparu, en Europe, mais aussi dans les autres pays développés.

Une nouvelle période s’ouvrit, pour les banques centrales, avec la crise sanitaire. Pour en atténuer les conséquences économiques, les Etats touchés accrurent, dans des proportions sans précédents, les dépenses publiques pour venir en aide aux entreprises et aux ménages, limiter le nombre de faillites et freiner la hausse du chômage. Cela se traduisit par un accroissement massif des déficits publics. Là, les banques centrales au premier rang desquelles figura la BCE, facilitèrent leur financement grâce à des programmes d’achats de titres des dettes publiques sur les marchés financiers, sans qu’à aucun moment les risques inflationnistes ne soient mis en avant, et notamment pas en Allemagne, qui assouplit même ses règles constitutionnelles. Durant cette période, les taux d’intérêt à court et à long terme furent même négatifs, ce qui permit en France à l’Etat, alors que son endettement s’envolait, d’avoir une réduction de la charge annuelle de sa dette. Malgré des contextes politiques et juridiques différents, la même action fut observée dans la plupart des pays développés.

L’invasion de l’Ukraine avec ses conséquences sur les cours des énergies fossiles et la résurgence de l’épidémie en Chine avec les perturbations sur les chaines d’approvisionnement mirent un terme à cette longue période sans inflation et on assiste à son brutal retour qui rappelle la fin des années 70. Mais les banques centrales, malgré les dispositions figurant dans leurs mandats sont loin d’avoir adopté la « méthode Volcker » et d’avoir déclenché des politiques restrictives de nature à enrayer le retour de l’inflation. Aux Etats-Unis, les hausses de taux de la Fed sont sans rapport avec l’évolution des prix. En Europe, le processus de soutien monétaire est progressivement arrivé à son terme et seule une hausse symbolique des taux directeurs est envisagée. Parallèlement une action est prévue pour protéger la cohérence de la zone euro et éviter que les écarts de taux entre pays ne s’aggravent sur les marchés financiers.

Afin de ne pas plonger le monde dans une profonde récession et dans un contexte géopolitique dangereux, les banques centrales ont donc fait le choix d’inscrire leur action dans les politiques économiques décidées par les gouvernements et destinées à limiter autant que possible les conséquences des crises sanitaires et géopolitiques sur l’activité. Ce choix a également été dicté par la prise de conscience des répercussions de leurs décisions sur les marchés financiers. Le risque ne pouvait pas d’être pris d’ajouter aux crises actuelles une crise financière majeure.

Le monde a changé, pour les banques centrales aussi. L’objectif de stabilité des prix n’est plus leur principale raison d’être. Elles ne peuvent plus agir chacune de leur côté comme du temps de Volcker. Les conséquences de leurs décisions sur les marchés financiers et sur les taux de changes doivent entrer en ligne de compte et la prudence s’impose. Enfin, la politique monétaire s’inscrit dans l’ensemble de la politique économique des gouvernements concernés et les banques centrales ne peuvent l’ignorer. Leurs relations avec les autorités politiques démocratiquement élues doivent être étroites. Elles doivent donc, elles aussi, s’adapter à cette nouvelle ère.          

   

     

  

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