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Le blog d'Alain Boublil

 

Le retour de Volcker

La crise inflationniste que connaissent actuellement les pays occidentaux et les remèdes envisagés, renvoient forcément à celle de la fin des années 70, consécutive au deuxième choc pétrolier, lui-même provoqué par la guerre en Iran. Pendant plus de 30 ans, le monde développé pensait en avoir fini avec l’inflation et commençait même à s’alarmer à propos d’un risque de déflation. Aux Etats-Unis, c’est la nomination, à la fin de l’année 1979 d’un nouveau président à la tête de la banque centrale, Paul Volcker, qui constitua un véritable tournant. Pour lutter contre une inflation qui dépassait 10%, il procéda à des relèvements massifs de taux d’intérêt durant l’année 1980. Les effets sur l’activité économique ne furent pas immédiats mais la récession intervenue en 1982 (-1,9%) fut l’une des plus profondes de l’après-guerre.

La première conséquence de son action fut une réévaluation spectaculaire du dollar. Son cours moyen sur l’année passa de 4,20 F en 1980 à 8,98 F en 1985, avant de commencer à se replier à la suite des accords du Louvre pour revenir à 6,93 F en 1986. De telles fluctuations paraitraient aujourd’hui impossibles. Elles ne furent pas sans conséquences sur les autres économies, en renchérissant notamment de façon brutale le coût des énergies fossiles importées. On pensa longtemps que la politique de relance pratiquée en France en 1981 avait été à l’origine de l’accroissement du déficit extérieur du pays en 1982. On sait aujourd’hui que c’est l’augmentation de la facture pétrolière due à la hausse du dollar qui en fut la cause. 

La quasi-disparition de l’inflation à partir de la fin des années 80 n’eût évidemment pas pour origine la politique monétaire américaine mais fut le résultat de la conjugaison de deux facteurs essentiels. L’innovation technologique avec la numérisation de nombreuses activités qui permit de réduire leurs coûts et les nouvelles techniques de production et de transport des énergies fossiles qui mirent à la disposition du monde davantage de ressources à des prix plus bas jouèrent un rôle très important. Le second facteur a été la mondialisation et la généralisation dans les pays développés de la concurrence. Les consommateurs ont ainsi profité des gains de productivité et des bas coûts de production dans le monde entier et notamment en Chine, mais aussi en Corée du Sud et à Taiwan. L’innovation dans le transport maritime avec le développement des containers a enfin rendu possible à la construction de chaines d’approvisionnement efficaces et stables.

C’est tout ce modèle économique qui vient d’être bouleversé avec d’abord la crise sanitaire et son rebond actuel en Chine, qui a remis en cause la structure des chaines d’approvisionnement et l’invasion de l’Ukraine, avec les sanctions adoptées à l’encontre de la Russie, qui ont brutalement réduit l’offre d’énergies fossiles et la production de matières premières agricoles. L’inflation n’est pas due aujourd’hui à un phénomène monétaire mais à des causes externes. Mais pour la combattre on revient aux recettes traditionnelles. Sur un an aux Etats-Unis, elle a dépassé 8%, soit un peu plus qu’en Allemagne (7,8%), et qu’en France (5,3% suivant le mode de calcul harmonisé européen). L’heure est donc venue de s’interroger sur les évolutions souhaitables de la politique monétaire dans chaque grande zone économique. Des divergences majeures sont déjà observées et on est en train de passer d’une logique de coopération à celle du chacun pour soi.

En Chine, la priorité est toujours au soutien de l’économie et la banque centrale multiplie les initiatives en faveur du financement des entreprises et pour conforter le système bancaire à un moment où l’endettement privé a atteint des records, notamment dans l’immobilier. En Europe, la Banque Centrale Européenne hésite, voire procrastine et les divisions en son sein commencent à apparaître. La deuxième version du « quoiqu’il en coûte », comme le principe d’une mutualisation des financements destinés au soutien des économies à la suite de la pandémie, avaient été adoptés sans difficultés excessives. Mais la situation évolue et une possible hausse du taux directeur a été evoquée pour les semaines à venir.

On entre dans une phase de resserrement quantitatif qui préfigure les premières hausses de taux d’intérêt. Le programme d’achat de titres des dettes publiques sur le marché a été progressivement réduit et a contribué, dans un contexte de rebond inflationniste à une hausse des taux d’intérêt à long terme. Le taux de l’OAT française à dix ans est passé en six mois de -0,5% à +1,5%. Cette évolution est très inférieure à celle de l’inflation qui est passée durant la même période de 2% à plus de 5%. Mais elle est significative. Le président de la Bundesbank, qui siège au conseil de la BCE vient de demander que soit décidée dès le mois de juillet une hausse du taux directeur puisque l’inflation dans la zone euro a atteint 7,5% soit près de quatre fois l’objectif de 2% qui figure dans son mandat. Ce serait une première depuis 2011 et la question va s’installer pour longtemps au centre des délibérations de l’institution où une majorité se dessine pour penser qu’il vaut mieux agir modérément tôt plutôt que brutalement trop tard.

Aux Etats-Unis, au contraire, la Federal Reserve a franchi le pas et emboîte la ligne Volcker. Elle bénéficie du soutien de la Maison Blanche qui redoute plus les retombées politiques immédiates à l’occasion des élections à mi-mandat, d’une baisse du pouvoir d’achat due à l’inflation que des conséquences à plus long terme d’une probable récession. Une première hausse de 0,5% a été décidée et une seconde devrait intervenir en Juillet, le rythme pouvant s’accélérer dans le courant de l’année. Les conséquences ont été immédiates sur le marché des changes, même si elles ont été moins brutales qu’il y a quarante ans. En trois mois le dollar s’est apprécié face à l’euro comme au yuan de plus de 5% et nombreux sont les gestionnaires de fonds qui voient le dollar revenir à parité avec l’euro avant la fin de l’année, ce qui ne contribuera pas à freiner les tensions inflationnistes dans le continent européen puisque les importations d’énergies fossiles sont facturées en dollars.

Un atterrissage doux de l’économie américaine n’est pas impossible mais pour atteindre son objectif de ramener le taux d’inflation à un niveau voisin de 2%, l’action pour freiner la demande et l’activité devra être vigoureuse, alors même que l’origine de l’inflation est pour une large part extérieure aux Etats-Unis. Le risque de lourdes conséquences sur les marchés financiers, donc sur le patrimoine des ménages américains et sur leurs comportements de consommateurs est réel ce qui accroîtrait les pressions sur l’économie sans pour autant que cela chasse complètement les tensions inflationnistes et pourrait, comme lors de la crise des sub-primes, affecter tout le monde occidental.

 La situation est aujourd’hui différente car ce sont les facteurs structurels qui avaient permis de s’affranchir de l’inflation pendant plus de trente ans, qui ont été affectés. Il faudra beaucoup de temps pour reconstruire des chaînes d’approvisionnement dans l’industrie qui soient moins sensibles aux difficultés intervenues sur tel ou tel continent et réorienter les flux d’échanges de matières premières énergétiques ou agricoles. La politique monétaire devra donc, aux Etats-Unis comme en Europe, être consciente de ses limites.

Les banques centrales ne peuvent pas tout et la méthode employée par Paul Volcker n’est pas forcément la meilleure solution. Les responsables politiques sont tentés de se décharger sur elles de leurs responsabilités qui consistent, au contraire à trouver les nouveaux instruments adaptés à un monde qui a changé. Il est urgent qu’ils en prennent conscience.      

 

 

   

          

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