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Le blog d'Alain Boublil

 

Le gaz naturel, nouvelle matière première stratégique

Pendant un siècle, l’accès au pétrole a constitué un enjeu stratégique majeur et a été au cœur des tensions géopolitiques conduisant parfois même à des guerres. A la fin de l’empire ottoman, l’Angleterre et les Etats-Unis, auxquels s’est jointe tardivement la France, ont redessiné la carte du Moyen-Orient en fonction de l’emplacement des gisements d’or noir. L’attaque de Pearl Harbour a été déclenchée par la crainte du Japon de se voir privé de ses approvisionnements en pétrole par les Etats-Unis. Si l’armée allemande s’est battue à Stalingrad, c’était  pour avoir accès à la mer Caspienne et à ses importants gisements. Enfin l’embargo décidé en 1973 par les Etats producteurs visait à faire pression sur les Etats Occidentaux pour qu’ils cessent leur soutien à Israël dans sa guerre contre l’Egypte et la Syrie. Pour assurer sa sécurité et, ce qui est moins souvent évoqué, pour maintenir des cours élevés, les Etats-Unis ont interdit jusqu’à une date récente l'exportation d’or noir sauf vers ses voisins, le Canada et le Mexique et sous certaines conditions. Le pétrole a donc été  durant toutes ces périodes une source majeure de crises et parfois de conflits.

Les tensions observées actuellement à propos de la mise en service du gazoduc Nordstream 2 entre la Pologne, l’Ukraine et la Russie n’ont évidemment pas la même violence mais elles sont révélatrices de l’importance stratégique nouvelle accordée au gaz naturel. Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé puisque si la Chine se préoccupe tant de la sécurité du transport maritime dans ses zones côtières qui vont jusqu’à Singapour et à l’Océan Indien, c’est bien parce qu’y transitent nombre de produits essentiels à son activité économique et notamment le pétrole et le gaz naturel. Ce combustible fossile pourrait bien tenir dans les années à venir le rôle qu’a occupé le pétrole pendant tout le XXème siècle dans les relations internationales.

Les raisons sont multiples et la première réside dans la manière dont le gaz naturel est acheminé. Ce qui a fait le succès du pétrole, c’était qu'il était facile à transporter et avait de nombreuses utilisations, à la différence du charbon. Le gaz naturel ne présente pas les mêmes qualités. Il nécessite comme pour  le pétrole avec les oléoducs, la construction d’équipements coûteux qui traversent des pays auxquels il n’est pas toujours destiné. Mais deux innovations majeures sont intervenues. La révolution du gaz de schiste a permis d’accroître les ressources disponibles. La construction des installations de liquéfaction et des méthaniers a élargi les possibilités de transport. Les pays qui étaient isolés, comme les archipels, ou trop éloignés des lieux de production pour que la construction de gazoducs soit rentable, ont pu ainsi avoir accès à cette source d’énergie quand ils disposaient de façades maritimes. Ils ont alors construit les installations nécessaires.

La seconde raison tient aux enjeux climatiques. Le gaz naturel est certes une énergie fossile mais son utilisation émet beaucoup moins de CO2  que le charbon. Les fuites des réseaux, que leurs gestionnaires s’emploient maintenant à résorber, peuvent engendrer des émissions de méthane, plus nocif  que le CO2, mais celles-ci ne s’accumulent pas dans l’atmosphère pendant une période suffisamment longue pour contribuer autant au réchauffement climatique. Parmi les solutions permettant de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, figure donc en bonne place la substitution du gaz naturel au charbon pour produire de l’électricité. La demande de gaz naturel qui va résulter de cette transformation sera d’autant plus forte que la demande d’électricité à l’échelle mondiale va s’accroître avec la réduction de la place des moteurs thermiques, la digitalisation des activités et surtout la poursuite du rattrapage économique des pays émergents comme l’Inde et la Chine. Les politiques d’économies d’énergie ne pourront ralentir ces tendances que faiblement.    

Les énergies renouvelables du fait de leur intermittence n’offriront pas avant longtemps la sécurité des approvisionnements en électricité et le recours au nucléaire, limité aux pays qui maîtrisent cette technologie ou au moins la gestion des centrales ne pourra pas à lui seul faire face à cette croissance de la demande. Le besoin en gaz naturel va donc s’accroître fortement durant les prochaines années et les déséquilibres géographiques entre l’offre et la demande revêtiront un caractère tout à fait nouveau et seront porteurs de tensions géopolitiques.

Dans le passé, l’essentiel des surplus de production de pétrole était concentré chez les pays de l’OPEP, essentiellement au Moyen-Orient qui, sans être toujours d’accord entre eux, ont  privilégié une approche mercantiliste en protégeant leurs revenus par les quantités produites. La situation sur le marché mondial du gaz naturel est très différente. A côté des Emirats du golfe qui vendent à l’étranger presque toute leur production, les deux principaux exportateurs sont la Russie et depuis peu avec le gaz de schiste, les Etats-Unis. En face, il existe deux grands importateurs, l’Union Européenne et la Chine. La fourniture et l’acheminement du gaz naturel sont donc appelés à devenir des sujets de tension croissants entre ces grandes puissances.

L’Europe, du fait de l’épuisement progressif des gisements de la Mer du Nord, importe plus de 30% de sa consommation de Russie. La construction d’une nouvelle infrastructure, Nordstream 2, génère des inquiétudes. Elle accroîtrait la dépendance du continent vis-à-vis de Moscou et elle priverait l’Ukraine des ressources que le pays tire des redevances payées par les gazoducs qui traversent son pays en provenance de Russie. Or les deux  pays sont en conflit depuis l’annexion de la Crimée. Les Etats-Unis voient aussi dans ce projet une menace pour ses exportations de GNL et a fait pression en décrétant des sanctions à l’encontre des entreprises qui y participent. L’Europe se divise donc, l’Allemagne tenant au projet et la Pologne, qui soutient l’Ukraine contre Moscou, militant contre sa mise en service. Autre source de difficultés pour le continent, l’approvisionnement de l’Espagne : la dégradation des relations entre le Maroc et l’Algérie a conduit au blocage du gazoduc qui transportait plus du tiers des besoins du pays.      

La Russie a un autre client très prometteur, la Chine et envisage la construction d’un nouveau gazoduc géant, d’une capacité de  50 bnm3, Power of Siberia N°2, qui s’approvisionnerait comme Nordstream 2 depuis le champ gazier géant de Yamal. Ainsi la Russie, accusée de faire monter les cours du gaz en limitant ses exportations vers l’Europe, renforcerait encore sa position en disposant de nouveaux débouchés considérables. La consommation chinoise de gaz est passée en dix ans de 100 à 300 bnm3 et ses importations atteignent 100 bnm3. La moitié transite par des gazoducs venant de Russie et du Turkmenistan. Le reste est du GNL venant du Golfe et d’Australie dont les gisements ont été mis en exploitation et les installations de liquéfaction construites  grâce aux contrats passés avec les importateurs chinois. Mais le regain de tensions dans la région avec une présence de plus en plus affirmée des Etats-Unis comme en témoigne la constitution de l’alliance AUKUS, pourrait inciter Pékin à se rendre moins dépendant de ses fournisseurs australiens, ce qui affecterait la situation du pays.

Le marché du gaz naturel est devenu un terrain privilégié de concurrence sinon d’affrontement entre les grandes puissances au moment où cette matière première est de plus en plus recherchée par les pays qui veulent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il faut espérer et agir pour que cette exigence légitime ne menace pas la paix de la planète, donc sa survie.  

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