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Le blog d'Alain Boublil

 

Les Etats-Unis et la Chine doivent se parler

La victoire de Joe Biden a été accueillie par la communauté internationale avec soulagement : c’était la certitude d’un apaisement des tensions géopolitiques avec la présence des Etats-Unis à nouveau dans les grandes discussions multilatérales. Plusieurs signaux forts ont été très vite envoyés avec notamment le retour dans l’Accord de Paris relatif à la lutte contre le réchauffement climatique dont Donald Trump avait sorti son pays. Mais la question des relations avec la Chine reste toujours sensible. Le ton a changé avec l’abandon des provocations mais l’analyse reste la même : la Chine est un rival stratégique.

Sur quoi se fonde l’analyse américaine comme celle de la plupart des médias qui se sont emparés du sujet ? Essentiellement sur le fait que l’écart des PIB entre les deux pays se réduit et qu’il apparait inévitable qu’un jour la Chine devienne la première économie mondiale devançant ainsi les Etats-Unis. Le symbole est fort mais l’analyse est superficielle. D’abord la Chine est quatre fois et demi plus peuplée que les Etats-Unis. Le jour où son PIB atteindra celui des Américains, le niveau de vie des Chinois sera encore le quart de celui de ceux-ci. Peut-on considérer come une menace l’aspiration d’un peuple à un niveau de vie plus élevé ? Assurément non. Surtout, l’économie mondiale n’est pas la Ligue de football. Les classements n’ont pas le même sens.

Ce qui fait des Etats-Unis la première puissance mondiale, ce n’est pas seulement son économie, ce sont aussi sa puissance militaires et ses interventions hors de ses frontières, lesquelles ne sont pas toujours couronnées de succès comme on vient de le voir en Afghanistan, c’est sa monnaie, c’est aussi son système juridique et son extraterritorialité. Rien de tout cela ne semble menacé dans l’immédiat ou à plus long terme par le développement économique de la Chine. L’internationalisation du Yuan mettra beaucoup de temps et l’histoire de l’Empire du Milieu montre qu’il a bien plus souvent été l’objet d’agressions venant de l’étranger qu’il n’a lui-même procédé à des interventions hors de ses frontières. On ne peut pas, en Occident, dénoncer la colonisation passée et critiquer la Chine à propos de Hong-Kong, colonie britannique pendant plus d’un siècle, et contester sa volonté de réintégrer un jour Taiwan qui devint une colonie japonaise au début du XXème siècle. Tout dépendra donc des méthodes employées par Pékin pour aboutir à ses fins, à savoir le retour de ces deux territoires dans un seul Etat.

Que veut la Chine ? Certainement pas dominer le monde grâce à un poids économique qui en ferait statistiquement la première économie. Le gouvernement chinois semble imprégné de la logique du mandat du ciel que recevaient les empereurs et qui leur conférait, tant qu’ils inscrivaient leur action dans ce mandat, tous les pouvoirs. Aujourd’hui ce mandat c’est garantir la stabilité politique et assurer au peuple chinois le progrès économique et social. Ces deux composantes sont étroitement liées. Les leçons des erreurs économiques catastrophiques passées, avec le « Grand Bond en Avant » et la Révolution culturelle ont été tirées et depuis les réformes économiques lancées par Deng Xiao Ping il y a plus de quarante ans, le peuple chinois est très largement sorti de la pauvreté et aspire au même niveau de vie que celui atteint dans les pays développés. Qui peut contester ce projet ? Tant que l’action de ses dirigeants contribuera à la réalisation de ces objectifs, ceux-ci resteront en place.

On aboutit ainsi à un étonnant paradoxe. Les Etats-Unis, exemple de démocratie depuis plus de deux siècles, est le pays qui crée le plus de richesse chaque année mais où cette richesse est de moins en moins partagée. L’accroissement des inégalités depuis plusieurs décennies est spectaculaire comme la montée de la pauvreté s’accélère après chacune des crises récentes, les sub-primes il y a dix ans et l’épidémie actuelle du corona virus. A l’inverse, la Chine, dotée d’un régime de plus en plus autoritaire, aux yeux des pays occidentaux, construit une économie qui garantit que les fruits de sa croissance seront de mieux en mieux partagés, avec l’ascension rapide et continue d’une classe moyenne et une réduction massive de la grande pauvreté. Le gouvernement en a fait désormais un objectif prioritaire.

Cet environnement économique a favorisé la naissance et le développement spectaculaire d’entreprises privées chinoises dont les fondateurs ont accumulé des fortunes considérables. Le gouvernement a réagi depuis un an en durcissant la réglementation des activités qui étaient à l’origine de ces succès et ont fortement incité, c’est un euphémisme, les grands actionnaires et les dirigeants de ces entreprises à redistribuer volontairement, au travers de fondations ou de dons directs à des institutions locales, des dizaines de milliards de dollars. L’autoritarisme du régime a été mis au service de la réduction des inégalités.

Les critiques américaines ne portent pas seulement sur la nature du régime de Pékin. Alors que la Chine a profité très largement de l’ouverture du commerce mondial depuis son admission au sein de l’OMC, le pays n’aurait pas renoncé à ses pratiques protectionnistes au travers de dispositions restrictives relatives aux investissements étrangers, aux marchés publics et plus généralement au respect de la propriété intellectuelle. Mais le phénomène n’est pas nouveau. Le même procès fut intenté au Japon dans les années 60 quand ses entreprises commençaient à menacer les positions de leurs concurrents américains et européens. De longues discussions ont permis de réduire la portée de ces pratiques. L’innovation ne doit pas non plus déboucher sur des monopoles. D’ailleurs l’Occident est mal venu de critiquer les mesures prises par Pékin à l’encontre de ses géants du net quand il a beaucoup de peine à réguler ses propres GAFAs.

Second paradoxe, la Chine, grâce à ses excédents, contribue largement à financer les déficits intérieurs et extérieurs des Etats-Unis. Le pays est suivant les années, le premier ou le second derrière le Japon détenteur de titres de la dette publique américaine et est donc un créancier majeur de l’Etat. Mais il n’a pas intérêt, malgré les positions souvent agressives de l’administration américaine, à s’en servir comme outil de pression. Les marchés financiers réagiraient brutalement, les taux d’intérêt remonteraient et le dollar chuterait, ce qui pénaliserait la croissance mondiale et affecterait la valeur des réserves en devises détenues par la Banque Centrale chinoise. Cela gênerait aussi le processus d’internationalisation du Yuan qui ne peut aboutir que s’il est conduit de façon progressive.

Les tensions nées de l’apparition d’un puissant concurrent économique ne sont donc pas étonnantes mais jusqu’à présent elles n’avaient pas prises une tournure politique. Les pratiques de Donald Trump en politique étrangère y ont largement contribué alors que les Etats-Unis sont loin d’être irréprochables avec leur « Buy American Act », leurs normes et leurs droits de douane. Mais c’est la différence de nature entre les régimes politiques des deux pays qui explique que ces tensions n’aient pas disparu après l’élection de Joe Biden. Il convient donc pour trouver des solutions aux désaccords économiques réels et importants qui existent entre les deux pays, d’entamer des négociations qui font abstraction de la question politique.

Pendant plusieurs décennies le monde a été marqué par la « guerre froide ». Puis sont intervenues des discussions qui ont abouti à la « coexistence pacifique ». L’enjeu actuel est différent puisqu’il porte essentiellement sur des intérêts économiques. Mais il est plus facile à traiter, à condition d’accepter qu’une « coexistence politique » est possible et souhaitable.

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