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Le blog d'Alain Boublil

 

François Mitterrand et l'économie

A la fin de cette semaine, se déroulera une cérémonie en l’honneur de François Mitterrand à l’occasion du 25ème anniversaire de sa mort. Le 10 mai prochain sera célébré le 40ème  anniversaire de son élection. Ces manifestations seront l’occasion d’une réflexion sur son action. Si son rôle dans la transformation de la société française avec la libéralisation de l’audiovisuel ou l’abolition de la peine de mort, si son action en faveur du rayonnement culturel de la France et de la construction européenne ne sont pas contestées, sa politique économique a été le plus souvent critiquée. Le moment est venu de démêler le vrai du faux.

Le premier sujet de contestation, encore très présent aujourd’hui a été la politique de relance menée en 1981. Les mesures prises figuraient dans son programme. Faut-il rappeler que le devoir d’un homme politique quand il est élu est de respecter ses engagements ? Les hausses de salaires et de prestations sociales et l’augmentation de la consommation des ménages qui en a résulté auraient provoqué, entend-t-on dire encore aujourd’hui, un énorme déficit commercial, lequel, la France appartenant au système monétaire européen, aurait été à l’origine des trois dévaluations d’octobre 1981 (3%), de juin 1982 (5,75%) et de mars 1983 (2,5%). Le terme de dévaluation est d’ailleurs impropre. Il s’agissait de réalignements englobant chaque fois plusieurs devises. Entre la création du SME en mars 1979 et septembre 1987, il y aura onze opérations de cette nature dont cinq concernant le franc, quatre dépréciations et une réévaluation en juin 1985.

A l’époque, les monnaies n’appartenant pas au SME fluctuaient entre elles librement ce qui n’était pas sans conséquences sur les autres pays. L’économie française était alors fragile car le gouvernement Barre avait laissé derrière lui un déficit commercial important (55 milliards) et une forte inflation (14%). L’Allemagne disposait, elle, d’un solide excédent commercial et d’un taux d’inflation bien plus modéré (6%). Aux Etats-Unis, en 1979, le nouveau président de la Fed, Paul Volker, avait entamé une politique agressive de hausse des taux d’intérêt pour lutter contre les conséquences du deuxième choc pétrolier. L’effet fut immédiat sur le marché des changes. Le cours de la devise américaine passa de 4,20 FF en moyenne en 1980 à 6,56 FF en 1982, soit une hausse de 56,2%.

Cette hausse du dollar va se répercuter sur le principal poste de la balance commerciale de la France, la facture énergétique puisque les cours du pétrole sont exprimés en dollar. Celle-ci passe de 133 à 178 milliards entre 1980 et 1982 soit une hausse de 45 milliards. Le déficit de la balance commercial suivra, à deux milliards près, la même évolution, passant de 55 à 102 milliards. Il est donc faux de prétendre que c’est la relance de la consommation qui a creusé le déficit puisque les familles ne se sont pas mises acheter plus d’essence dans de telles proportions. L’accroissement de ce déficit eut une cause exogène, la politique monétaire des Etats-Unis. Mais cela a eu un effet déstabilisant en Europe car l’Allemagne, avec son charbon était moins tributaire que la France d’importations d’énergies fossiles.

Le gouvernement de l’époque ignorera l’origine réelle du déséquilibre, ce qui débouchera sur le fameux « tournant de la rigueur », lequel sera interprété comme un revirement politique et la reconnaissance des erreurs passées. Les mesures adoptées dans un climat de crise politique seront rapidement rapportées et n’empêcheront pas la France de poursuivre sa croissance après avoir été l’un des rares pays avec le Japon à avoir évité la récession, et sachant contenir son déficit public qui restera jusqu’en 1985 nettement inférieur à celui de l’Allemagne.  

Ce débat a occulté les réalisations majeures, voire historiques, décidées par François Mitterrand durant ses deux mandats. En 1981, lors de l’inauguration de la ligne Paris-Lyon, dont un tronçon restait à réaliser car le gouvernement précédent avait bloqué les travaux, il demandera à la SNCF de faire des propositions pour relier les métropoles de l’Ouest et du Sud-Ouest de la France. Il entrera peu après en discussions avec Margaret Thatcher pour la réalisation d’une liaison Transmanche et le traité de Canterbury sera signé en 1986. L’objectif était bien sûr d’ancrer le Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Les liaisons à grande vitesse vers le nord de la France, Bruxelles, Amsterdam et Cologne suivront avec le même objectif, comme la mission confiée à Jacques Delors de créer le Marché Unique. Là encore le projet ira à son terme, tout comme son programme de grands travaux : la Grande Arche a contribué à la relance de La Défense qui est devenu le premier quartier d’affaires d’Europe tout comme la transformation du Louvre a renforcé l’attractivité touristique de Paris.

Cela peut paraître paradoxal pour un pays dirigé par des socialistes et comportant pendant trois ans des ministres communistes d’y voir émerger les créateurs des grands groupes qui font aujourd’hui la fierté de la France. C’est pourtant ce qui est arrivé. En reprenant Boussac et son joyau, Dior, en 1985, Bernard Arnault au travers d’acquisitions choisies et bien gérées a fait de LVMH la première capitalisation boursière française (250 milliards). François Pinault était au départ un simple importateur de bois du Nord. Il a su, à partir de 1984, construire un groupe de distribution puis de produits de luxe, Kering, qui promeut l’excellence française. Sa valorisation dépasse 70 milliards. Vincent Bolloré, en 1981, a démarré à la tête de la petite entreprise familiale de papiers à cigarettes. Il a créé un groupe présent dans la logistique et les médias valant près de 10 milliards aujourd’hui. C’est aussi en 1981 que deux partenariats industriels internationaux majeurs seront l’un conforté (moteurs d’avions) et l’autre conclu (logiciels informatiques). De fortes pressions existaient pourtant pour abandonner l'alliance de la SNECMA avec General Electric au profit de Rolls-Royce. Et l’accord entre Dassault et IBM constituait un revirement majeur puisque toute la stratégie publique dans ce domaine avait consisté jusque là à s’affranchir du constructeur américain. La capitalisation de Dassault Systèmes qui en a résulté dépasse aujourd’hui 40 milliards.

Mais les paradoxes ne se sont pas limités à des créations d’entreprises couronnées de succès.  Grâce au soutien de François Mitterrand, Pierre Bérégovoy a entamé le processus de dé-bureaucratisation de l’économie. Sour la présidence réputée libérale de Giscard, le crédit était encadré, les prix contrôlés comme les transactions avec l’étranger. Toutes ces contraintes qui pesaient sur l’Etat pour émettre ses emprunts, sur les entreprises pour financer leurs investissements et sur les ménages pour placer leur épargne ou simplement pour voyager, et qui étaient uniques parmi les pays développés à l’exception du Japon, ont été progressivement levées. Il y a encore, certes, beaucoup à faire pour chasser le délire bureaucratique, comme en témoigne la manière dont est gérée l’épidémie actuelle. Mais c’est sous l’égide de François Mitterrand que les premiers progrès ont été enregistrés.

Il est donc enfin temps d’admettre la réalité. Non, François Mitterrand ne se désintéressait pas de l’économie. Au contraire, il a lancé l’adaptation de l’économie française aux bouleversements créés par la mondialisation naissante. Il savait, grâce à son environnement familial et au réseau d’amis fidèles qu’il avait constitué tout au long de sa vie, comment fonctionnait  une entreprise. C’est ce qui lui permettra aussi d’imposer des règles strictes pour la gestion des entreprises nationalisées et de faire des choix pertinents pour leurs dirigeants.

Cette exigence de vérité n’est pas simplement dictée par des considérations historiques. Les décisions qu’il a prises partent de principes qui sont toujours valables. Les responsables politiques actuels, qu’ils soient au pouvoir ou qu’ils espèrent le conquérir, seraient bien inspirés, à leur tour, de s’en souvenir.                      

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