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Le blog d'Alain Boublil

 

Hommage à Jack Welch

Jack Welch, qui fut président de General Electric pendant  vingt ans, de 1981 à 2001, nous a quittés hier, le 2 mars à l’âge de 84 ans. Il avait transformé l’entreprise pour en faire la première capitalisation de Wall Street, atteignant 400 milliards de dollars au moment de son départ et surtout, tant sur le plan du management des grands groupes que sur la vision stratégique qu’il avait acquise à l’aube de la mondialisation, il avait été et reste encore une référence. C’était aussi un ami de la France. Les difficultés actuelles de l’entreprise dont la valeur a chuté et qui a été sortie de l’indice Dow Jones où elle figurait depuis la création de celui-ci ne doivent pas occulter le caractère visionnaire de son action.

GE était déjà quand il en a pris la présidence un groupe industriel très diversifié. Mais il en a tout de suite compris les risques et il instaura un principe suivant lequel, dans une branche, quand on n’était pas capable d’être ou de devenir le N°1 ou le N°2 sur son marché, il fallait vendre ou fermer. Et c’est ce qui lui a valu la réputation de fermeté, voire de violence dans sa manière de gérer l’entreprise. Mais outre le fait que cela relevait bon sens, ce n’était que l’une des nombreuses règles qu’il a mises en pratique. Il a d’abord débureaucratisé GE en réduisant le nombre de niveaux hiérarchiques ce qui lui permettait d’avoir un regard direct sur l’activité et de porter un jugement sur la pertinence de la stratégie du groupe et sur l’action de ses équipes. Il l’a ensuite décloisonné. Ce n’est pas parce que l’on fait des métiers différents que ceux-ci doivent être isolés les uns des autres. Le succès d’une branche dans un pays pouvait faciliter l’introduction d’un autre métier. Mais cela s’appliquait aussi à l’innovation.

GE avait une position forte dans les moteurs d’avion mais ne parvenait pas à s’imposer sur le nouveau marché des turbines à gaz. Or les technologies étaient voisines. Il demanda donc que l’on transfère une dizaine d’ingénieurs de haut niveau de la division moteurs vers GE Power pour remédier à ses insuffisances et c’est ainsi que quelques années plus tard, l’entreprise réussit à devenir un leader incontesté.

Il avait aussi une vision très personnelle de la gestion des ressources humaines. Lors de ses déplacements dans les filiales, plutôt que les traditionnelles visites d’usines et les cocktails, il demandait qu’on lui prépare une « business review » pendant laquelle, le responsable local lui présentait les actions en cours et ses résultats. Il créait ainsi un contact direct. Il avait instauré une méthode d’appréciation des performances et de fixation des rémunérations surnommée en interne « stretch » : si vous aviez dépassé vos objectifs, vous n’étiez pas forcément récompensé car cela pouvait vouloir dire que ceux-ci n’avaient pas été assez ambitieux et la personne pouvait même être sanctionnée si cela se reproduisait. A l’inverse, quand les objectifs n’étaient pas atteints mais qu’à l’évidence les efforts étaient évidents, cela n’entrainait pas de conséquences sur la carrière et la rémunération de l’intéressé qui pouvait même être promu.

En début d’année était organisée en Floride une réunion des principaux cadres et il s’adressait à eux pour fixer la feuille de route pour l’exercice à venir. Cette pratique est devenue courante en France mais il y a trente ans, c’était bien peu fréquent. GE recrutait plusieurs centaines de jeunes diplômés tous les ans. Jack Welch avait instauré pour ceux qui avaient été sélectionnés le Financial Management Program qui consistait à les envoyer en stage dans quatre filiales et dans quatre pays différents pour une durée chaque fois de six mois. Ainsi découvraient-ils le groupe. Un classement était établi à l’issue du programme et les meilleurs étaient sélectionnés pour entrer dans l’« Audit Staff » qui leur assurait d’être classés un jour dans les cadres à haut potentiel et d’accéder très vite à des responsabilités. Il avait inventé l’Inspection des Finances à l’américaine au service de l’entreprise.     

La mise en œuvre de sa vision stratégique était tout aussi innovante. Il fut ainsi l’un des premiers grands patrons à comprendre les perspectives des marchés chinois. Dès le début des années 90, il informait ses actionnaires que le développement de GE en Chine constituerait à l’avenir l’une de ses priorités. Il avait auparavant créé un International Advisory Board où siégeaient des hautes personnalités des pays où GE était implanté et dont le rôle était d’informer les équipes du groupe au niveau local comme au siège de la situation économique et politiques des pays concernés et donc des risques ou des opportunités qui pouvaient se présenter.

Sur le plan opérationnel, GE cherchait en permanence à optimiser son portefeuille de métiers. Le marché du matériel médical était en pleine expansion grâce aux nouvelles performances que permettaient les technologies numériques. En France, la filiale de Thomson, le Générale de radiologie n’avait pas atteint la taille critique et GE  était intéressé. Mais s’agissant d’une entreprise nationalisée, il était difficile à l’Etat d’accepter de s’en dessaisir. GE venait d’acquérir RCA, qui comportait d’importantes activités d’électronique grand public et de précieux brevets de télévision en couleur, qui étaient susceptibles d’intéresser Thomson. Jack Welch proposa alors de faire un échange où tout le monde serait gagnant, le médical de Thomson contre la télévision en couleur de RCA. Il se défaussait d’une carte qu’il jugeait perdante pour GE contre une carte qu’il estimait gagnante. Alain Gomez, alors président de Thomson avait fait le raisonnement symétrique et l’Etat fut convaincu.

Le succès le plus spectaculaire, et qui permet à GE d’être encore aujourd’hui un leader mondial concerne les moteurs d’avions et l’alliance avec une entreprise publique française, la SNECMA qui est devenue aujourd’hui SAFRAN. L’accord avait été conclu dans les années 70. L’arrivée de la gauche au pouvoir et la présence de ministres communistes au gouvernement ne dissuada pas Jack Welch de poursuivre ce partenariat si profitable, ce qui témoigne de son pragmatisme. Dans les batailles industrielles comme sur le terrain militaire, ce qui compte c’est d’avoir le bon allié. Or les clients étaient des deux côtés de l’Atlantique, Boeing et Mac Donnell Douglas d’un côté et celui qui allait s’appeler bientôt Airbus de l’autre. Le partenariat franco-américain permettait d’avoir des relations privilégiées avec chacun des trois et cette vision était bien sûr partagée du côté de la SNECMA.

L’ascension financière de GE qui lui permit donc de devenir la première capitalisation boursière reposa sur une idée simple que lui suggéra Gary Wendt, en charge de ces activités, qui avait sa confiance mais dont il se méfiait quand même un peu. Les résultats de GE comme sa situation financière lui permettaient d’avoir une notation AAA. Le groupe en profita pour proposer à ses clients de les financer, ce qui devint au fil des années le principal centre de profits du groupe. GE louait, en quelque sorte son bilan aux acheteurs de moteurs d’avion, de chemins de fer, de matériel médical entre autres. Seulement, bien après le départ de Jack Welch, la crise des sub-primes éclata et força les autorités de régulation à prendre des mesures prudentielles. La taille des engagements de GE en faisait un établissement à caractère systémique, comme les grandes banques américaines, ce qui imposait des contraintes financières qui faisait perdre tout intérêt à cette activité. Le bel édifice construit par Gary Wendt allait donc s’écrouler en même temps que la valeur boursière de GE qui était en outre confronté dans bien des métiers à la concurrence coréenne et chinoise.

Jack Welch aimait la France. Il y venait deux fois par an, au mois de janvier, pour rencontrer ses équipes et les grands patrons français qui étaient ou pouvaient devenir un jour ses partenaires et au mois de juin pour assister aux finales à Roland-Garros qui étaient retransmises par la NBC, dont GE était l’actionnaire depuis l’acquisition de la RCA. François Mitterrand en lui décernant le titre d’officier de la Légion d’Honneur en 1987 avait rendu hommage à son action en faveur de l’emploi en France et des relations franco-américaines. Ne l’oublions pas.            

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