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Le blog d'Alain Boublil

 

Japon : les raisons du déclin

Le 16 novembre prochain, le gouvernement japonais publiera sa première estimation du PIB  pour le  3ème trimestre qui, selon les principaux instituts de recherche du pays lesquels viennent de publier leur propre estimation, devrait acter l’entrée du pays en récession. Après une chute de 1,2%  au 2ème trimestre en rythme annualisé, le PIB reculerait de 0,2% les trois mois suivants. Le Japon serait alors le premier grand pays industrialisé à retomber en récession depuis la crise financière de 2007-2008.

Cette rechute intervient malgré la politique de relance du gouvernement (les Trois Flèches du Premier ministre Shinzo Abe) et la création monétaire pratiquée par la Banque du Japon qui précéda dans ce domaine ses homologues américaine et européenne. Elle survient après les décennies de stagnation voire de déflation qui ont affecté cette ancienne star de l’économie mondiale. Souvenons-nous : il y a trente ans, l’Exposition internationale de Tsukuba marquait l’apogée d’un pays dont les entreprises accumulaient les succès à l’exportation avec l’ambition affichée de dominer l’industrie mondiale, alors que leur marché intérieur était fermé aux concurrents. Cela avait donné lieu, en France, à l’épisode du dédouanement des magnétoscopes à Poitiers pour lequel le ministre de l’époque, Edith Cresson, avait été vivement critiqué. Rétrospectivement, c’est pourtant elle qui avait raison.

Pendant ce temps-là, les Etats occidentaux préparaient leur riposte : les Accords du Plaza, en septembre 1985 déboucheront sur la réévaluation massive du Yen qui passera, en quelques années, de 240 à 120 yens pour un dollar, niveau auquel il est aujourd’hui après avoir connu un pic à 85 yens avant la crise financière. Les bourses et l’immobilier flambèrent sous les effets de l’« endaka » (le « yen fort »), les investisseurs étrangers se précipitant sur des actions ou des biens immobiliers dont la valeur ne pouvait que s’apprécier. Tout s’écroulera, au début des années 90, avec des conséquences majeures sur l’économie et un plongeon dans la récession. Aucune des politiques conduites depuis n’a abouti à replacer le pays sur une trajectoire de croissance normale ce qui a conduit les observateurs à parfois en conclure que ce destin,  « stagnation et  déflation séculaires » menaçait tous ceux ayant eu une croissance forte à commencer par la Chine avec laquelle les comparaisons, à tort,se multiplient.

Le cas japonais a suscité des débats sur l’utilité des déficits et de l’endettement publics qui y dépasse  200% du PIB, sur l’efficacité du « quantitative easing » pratiqué par la banque centrale avant ses homologues américain et européen. L’enrichissement excessif  des entreprises, au détriment de l’investissement et des salaires, a parfois été jugé responsable de la stagnation du pays. Le parallèle avec les politiques de l’offre menées notamment en France, et leur pertinence, doit faire réfléchir. Mais ces questions légitimes, sont secondaires par rapport aux problèmes structurels, la géographie et la démographie d’abord.

Le pays compte 100 millions de ressortissants qu’il héberge sur une surface analogue à celle de la Grande-Bretagne mais dont les deux tiers sont inhabitables (montagnes, îlots). La situation est aggravée par le choix culturel sinon ancestral de préférer l’habitat individuel, même dans de toutes petites maisons dépourvues de terrain, aux logements collectifs. L’une des conséquences en est le désastre démographique. Ayant une hygiène de vie qui favorise la longévité et des pratiques sociales qui découragent les familles nombreuses, le Japon a une pyramide des âges déséquilibrée dont les conséquences sont plus lourdes chaque année, en l’absence de toute immigration. Le gouvernement s’est fixé comme objectif de faire remonter le taux actuel de natalité de 1,4 jusqu’à 1,8. Pour cela, il propose d’installer des robots dans les crèches, pour faciliter l’accueil des enfants en bas âge, et à prendre en charge les frais d’assurance en cas d’accident !

Le résultat, c’est un taux de chômage inférieur à 4%, à faire rêver les pays européens, mais qui reflète le mal profond dont souffre la société japonaise. Alors la solution ne résiderait-elle pas dans l’innovation, débouchant sur des activités créatrices de valeur ? Là encore, c’est la déception. Le pays a échoué dans sa grande ambition spatiale, est absent du secteur aéronautique et du net. Le Japon d’il y a trente ans nous inondait avec son électronique qui faisait l’admiration du monde entier. Il suffit de se rendre à Akihabara, le quartier de Tokyo qui servait de vitrine à ses dernières réalisations, pour constater qu’il n’y a plus que des « Manga-stores » où l’on vend des DVD et des poupées, des magasins de sex-toys et de téléphones cellulaires recyclés. Nulle trace d’Apple-Store, d’écrans derniers cris ou de montres connectées : ils ne sont pas fabriqués par des entreprises japonaises. Mais le pays conserve son obsession pour les robots, au point d’en équiper les crèches, laquelle traduit une angoisse diffuse face à la baisse de la population. N’étant partagée par aucun autre peuple, le projet sur le plan économique est condamné. Si, là-bas, on espère mettre ces robots au volant, partout ailleurs, on centre la recherche sur les voitures sans chauffeurs, qu’ils soient des humains ou des robots.

Mais ces singularismes n’expliquent pas complètement l’incapacité du Japon à trouver un nouveau sentier de croissance. Elle résulte, c’est paradoxal et rarement mentionné, de son incompréhension de la mondialisation qui est un jeu qui se gagne à plusieurs. Or le Japon s’entête à jouer perso. Dans le passé, grâce aux sociétés de commerce international que le monde entier lui enviait, les fameuses « soshas », le pays utilisait avec succès ses achats de matières premières pour vendre, en contrepartie, ses produits manufacturés et avec les bénéfices finançait ses investissements à l’étranger pour implanter de nouvelles unités de production. Mais le marché intérieur japonais restait fermé. La conséquence, c’est que bien peu de firmes étrangères s’associèrent avec des firmes japonaises pour développer des projets en commun et gagner de nouveaux débouchés. Ces dernières en payent le prix fort aujourd’hui.

Même sur le plan régional, le Japon s’est retrouvé isolé. Sans retomber dans les erreurs de l’entre-deux guerres avec la « zone de co-prospérité », les entreprises japonaises auraient pu nouer avec leurs homologues asiatiques, comme ont su le faire les entreprises chinoises, des accords dépassant les simples achats de fournitures ou de matières premières. Le pays a même réussi l’exploit de se brouiller à la fois avec la Corée du Sud et avec la Chine, à la suite des désaccords territoriaux en mer de Chine et de l’évocation des atrocités commises pendant la guerre. La position du gouvernement japonais, au détriment de ses intérêts économiques les plus élémentaires, était dictée par des considérations de politique intérieure, ce qui prouve bien que le peuple japonais non plus n’a pas intégré dans ses modes de pensée les nouvelles règles de l’économie mondialisée. Le sommet qui vient de se tenir à Séoul entre les dirigeants des trois pays ne doit donc pas faire illusion. Aucun des sujets de discorde n’a été évoqué et le seul résultat concret, fut de convenir d’un nouveau sommet l’an prochain. C’est un succès puisque les pays ne se parlaient plus depuis trois ans…

Au Japon, tout est ou doit être japonais. Tant que le pays n’aura pas rompu avec cette attitude atypique, qui est ancrée dans sa culture mais qui est incompatible avec le monde d’aujourd’hui, ouvert aux personnes, aux biens et aux idées, il ne pourra retrouver le chemin de la croissance et s’enfoncera dans le déclin.

 

 

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