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Le blog d'Alain Boublil

 

Chine: le tournant économique

Où va la Chine ? Les résultats décevants de la croissance en ce début d’année, la multiplication des incidents financiers et le changement spectaculaire de la politique de change du pays ont troublé les observateurs. Ceux qui prédisent depuis plus de vingt ans la fin du miracle chinois, notamment aux Etats-Unis, comme ceux qui n’y ont jamais cru, commencent à espérer que leurs prédictions vont enfin se réaliser. Les autres sont perplexes.

Même si la France n’a pas été le pays qui en a le plus profité, le poids de l’économie chinoise dans l’économie mondiale est devenu tel qu’un ralentissement marqué affecterait la croissance de ses principaux fournisseurs, donc de nos partenaires. La multiplication d’incidents financiers, mettant en cause les banques chinoises ferait peser sur les marchés un risque systémique et une politique de dévaluation compétitive de la monnaie chinoise ajouterait une instabilité supplémentaire à la crise des devises des pays émergents. Tels sont les questions posées à la veille de l’arrivée en France du président Xi Jinping.

Ces signaux qui nous viennent de Chine ont pourtant une explication : le pays est en train d’infléchir sa stratégie économique en tentant de rééquilibrer son modèle avec une demande intérieure prenant le pas sur la conquête des marchés extérieurs, une libéralisation progressive du mode de fonctionnement des entreprises avec comme contrepartie des risques accrus, donc des sanctions, et enfin une flexibilité croissante de la politique de change.  

Le rééquilibrage est une affaire de longue haleine et ne saurait avoir d’impact positif sur l’appareil de production à court terme. A l’inverse, les déséquilibres, eux, ont une sanction immédiate avec des fermetures d’usines, lorsqu’elles ne peuvent plus lutter contre des concurrents plus récents sur le marché intérieur ou plus compétitifs, lorsqu’ils viennent de l’extérieur. La Chine vit donc sa première expérience de pays développé. Même si le début d’année du fait des fêtes du Nouvel An n’est pas très significatif, les résultats décevants de la production industrielle comme des exportations traduisent cette amorce de mutation et il n’est pas acquis que la Chine atteigne cette année son objectif de croissance de 7,5%. Il ne faut pourtant pas dramatiser : la taille de l’économie chinoise est devenue telle que cette croissance, même plus faible, aura davantage d’impact sur l’économie mondiale qu’une croissance de 10%, comme il y a cinq ans, puisqu’entre temps, le PNB de la Chine a doublé.

Les réformes entreprises pour rééquilibrer l’économie sont ambitieuses voire audacieuses. Il y a d’abord l’assouplissement de la politique de natalité. Cela aura un double effet sur le comportement des ménages : à court terme, davantage de dépenses de consommation. A long terme, du fait de la tradition chinoise qui veut que les enfants assurent une partie des besoins de leurs parents, une réduction du taux d’épargne puisque la charge que représenteront les « anciens » sera mieux répartie.

La libéralisation progressive des migrations intérieures avec la réforme du permis de résidence, le « hukou », se traduira par une accélération de l’urbanisation, et surtout un rééquilibrage du processus au profit des « villes moyennes » chinoises de moins de cinq millions d’habitants. D’où une nouvelle vague d’investissements dans les infrastructures de transport et dans les systèmes de distribution de gaz et d’électricité. Il s’agit, là aussi, d’une mutation culturelle majeure pour un pays aux racines paysannes millénaires. Le choix de la ville comme thème de l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 montre bien que cette réforme avait été mûrement préparée.

Autre volet des réformes, la prise en compte de l’environnement. Amorcée avec le XIIème Plan, qui va de 2011 à 2015, cette politique conduira à un profond changement dans le « mix électrique » au détriment du charbon, et des exigences bien plus sévères d’efficacité énergétique dans l’industrie.

L’industrie chinoise va donc être affectée : si les biens de consommation, l’automobile comme les produits pharmaceutiques ou les équipements électroniques vont poursuivre sur leur lancée, les matières premières, avec au premier rang le charbon, et l’industrie lourde vont subir un ralentissement certain, générateur de fermetures des sites les moins compétitifs, avec d’évidents problèmes sociaux, et ce dans un contexte où les avantages compétitifs de la Chine s’érodent sous le double effet de la hausse des salaires et des dévaluations des pays voisins.

Cette mutation sera douloureuse et les incidents financiers qui se sont multipliés depuis le début de l’année en témoignent mais la volonté du gouvernement chinois de donner au marché un rôle accru, avec ses risques est claire. Il lui aurait été facile de venir au secours du charbonnier qui a fait faillite au mois de février ou du fabricant de panneaux Chaori Solar, qui a fait défaut sur ses obligations. De même la restructuration du promoteur immobilier de la région côtière du Zhejiang, pourtant l'une des plus riches de Chine, sera douloureuse mais sanctionnera les abus du secteur. Tout ce processus est donc bien en ligne avec la tonalité libérale des messages adressés par le Premier Ministre Li Keqiang.

La situation financière des collectivités locales est plus préoccupante. Le plan de relance de juillet 2008, qui avait pour but de contrebalancer les effets de la crise mondiale qui s’annonçait et que les autorités chinoises avaient été parmi les premières à anticiper, s’est traduit par un endettement massif, non de l’Etat,  mais des villes et des provinces. Celles-ci ont créé des véhicules financiers, réceptacles des prêts bancaires pour des montants considérables, on évoque le chiffre de 3000 milliards de dollars, et avec des échéances de remboursement qui se rapprochent dangereusement. Là se situe le principal risque de crise systémique chinoise, mais le gouvernement dispose de tous les moyens pour y parer. Il faudra néanmoins suivre l’évolution de ce secteur de très près.

Troisième inflexion, la politique de change. Tout en poursuivant la politique d’internationalisation de sa monnaie, le yuan, la Banque centrale a, coup sur coup, élargi la fourchette de fluctuation quotidienne face au dollar en la portant à 2% et piloté une baisse de la devise de près de 3% en moins d’un mois. Deux explications ont été données : il s’agissait de faire comprendre aux spéculateurs engagées dans des opérations de « carry trade » sur la devise chinoise qu’ils ne gagneraient pas à tous les coups. En empruntant à bas coût des dollars grâce à la politique accommodante de la Fed puis en les replaçant sur le marché chinois, ils avaient réalisé des profits considérables. Deuxième explication, l’internationalisation du yuan suppose qu’il puisse fluctuer dans un sens comme dans un autre. La monnaie chinoise serait donc en phase d’apprentissage pour préparer une nouvelle étape de la libéralisation des mouvements de capitaux qui reste l’objectif ultime, sinon avoué du gouvernement. Ces explications ne sont pourtant pas totalement convaincantes.

Le rééquilibrage du modèle chinois, on l’a vu, ne s’opérera pas sans dégâts sur l’appareil productif, et ce dans un contexte où les pays voisins, le Japon en premier lieu, mais avec lui les pays émergents de la région, ont massivement dévalué leur monnaie. Bien qu’il s’en défende, le gouvernement veut certainement atténuer le coût social de ses réformes en restaurant un peu de la compétitivité perdue de son industrie. Dans ces conditions, il ne faut  pas s’attendre à une reprise de la marche en avant de la devise chinoise avant longtemps. Mais cela ne devrait pas affecter, bien au contraire, la stratégie d’internationalisation, qui s’accommode bien, par définition, d’une certaine libéralisation des marchés des changes, ni gêner l’accumulation dans les réserves des banques centrales de la région, d’avoirs libellés en yuans, comme en témoignent les derniers chiffres publiés par Taiwan, qui en détient maintenant à hauteur de 21% de ses réserves totales.  

Il y a donc une profonde cohérence dans le « tournant » pris par l’économie chinoise : rééquilibrage du modèle de croissance, rôle plus grand donné au marché dans la vie des entreprises avec ses avantages et ses risques financiers, réalisme de la politique de change qui accompagne les mutations en cours. Mais cela n’étonnera pas ceux qui ont remarqué que « l’art de la stratégie » avait précisément été inventé là, il y a près de 3000 ans. A nos entreprises de se montrer audacieuses pour satisfaire les nouveaux besoins de la Chine.

 

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