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Le blog d'Alain Boublil

 

Hausse des taux d'intérêt : la nouvelle peur

Pendant des mois, économistes et commentateurs nous ont alertés sur les risques que faisaient courir à la stabilité financière des taux d’intérêt trop faibles voire négatifs. L’élection de Donald Trump a conduit les marchés financiers à anticiper un basculement de la politique économique américaine : la politique monétaire deviendrait plus restrictive, et le premier signal devrait venir la semaine prochaine avec un relèvement de ses taux d’intérêt par la Réserve Fédérale, tandis que la politique budgétaire deviendrait plus expansionniste avec des baisses d’impôts et une relance des investissements publics. En réalité, si le premier volet de ce changement est acquis, le second reste plus incertain. Les conséquences sur les taux d’intérêt de ce nouveau contexte, auquel on pourrait ajouter les incertitudes politiques en Italie ont été immédiates partout dans le monde. Aux Etats-Unis et en Angleterre les taux à long terme se sont accrus d’environ 100 points de base. En Europe, la hausse a été plus modeste, de l’ordre de 50 points, mais elle a été interprétée comme une rupture après la chute brutale et profonde qui avait caractérisé les deux dernières années. En France, l’OAT à 10 ans qui, depuis six mois offrait une rémunération comprise, suivant les émissions, entre 0,30 et 0,40% est remontée à 0,80%. Ce niveau reste pourtant très faible, si on se souvient qu’entre 2012 et 2014 par exemple, la France empruntait pour cette maturité entre 2 et 3% et que durant les années 2000 on était plus proche de 5%.

Ces perspectives ont déclenché une nouvelle vague de commentaires alarmistes. On aurait pu espérer que les risques associés aux taux trop faibles disparaissant, leur remontée serait accueillie favorablement. Il n’en est rien et on ne perd pas une occasion de souligner les risques pour les Etats d’un renchérissement de la charge de leur dette. En France, les dirigeants politiques de l’opposition qui ont largement contribué à l’accroissement de l’endettement public entre 2002 et 2012, brandissent à nouveau la menace d’une faillite. L’argument est même repris, certes de façon plus modéré, par un éminent membre français du directoire de la Banque Centrale Européenne. C’est d’ailleurs assez  paradoxal car celle-ci vient d’annoncer qu’elle maintenait son taux directeur  au niveau actuel, soit 0% et qu’elle prolongeait jusqu’à la fin de l’année 2017 sa politique de rachat d’obligations publiques et privées. Même si le volume des rachats sera légèrement réduit à partir du mois d’avril, cette décision traduit la ferme volonté de Francfort de poursuivre une politique de relance monétaire vigoureuse, synonyme de taux d’intérêt qui resteront donc encore pendant plus d’un an à des niveaux très faibles.

Tous ces discours méconnaissent, sciemment ou non, la double nature de notre dette publique : elle est à long terme et à taux fixe, et avec une très faible partie indexée. Une hausse des taux à moyen et long terme n’a aucune incidence sur l’exercice en cours puisque les premiers intérêts seront payés l’année suivante. Chaque nouvelle émission sert à financer l’augmentation de l’endettement public pour environ un tiers et à rembourser les emprunts passés pour les deux tiers. Or les emprunts venant à échéance ont été émis à des taux très supérieurs. Par exemple, cette année, au mois d’octobre, l’Etat a remboursé un emprunt de 26 milliards avec un taux d’intérêt de 5%. Il lui coûtait donc tous les ans 1,3 milliard d’intérêts. Le taux moyen des émissions françaises depuis le début de l’année est de 0,4% environ. L’intérêt que la France paiera dans l’avenir sur les emprunts émis pour rembourser celui portant intérêt de 5% est donc dix fois plus faible et l’Etat économisera chaque année environ un milliard. Le même phénomène se reproduira en 2017. En octobre prochain, il faudra rembourser un emprunt de 35 milliards portant intérêt de 4,25%, soit une charge annuelle proche de1.5 milliard. Si le taux à long terme est alors, suivant les prévisions de Bercy de 1,25%, ce qui signifierait une forte  remontée des taux, que rien, en réalité ne permet de prévoir, l’économie annuelle, à partir de 2018 sera de 1,5 milliards qui s’ajouteront au milliard économisé à partir de 2017. Ces deux exemples montrent bien comment va évoluer la nature de l’endettement de la France. Durant les prochaines années, le fait dominant sera l’amortissement d’une dette ancienne portant des taux très élevés remplacée par des emprunts émis dans un contexte monétaire européen différent, même si il est un peu moins favorable que durant la période exceptionnelle que nous avons connu depuis le début de cette année. Cet effet de substitution compensera largement, sur la charge de la dette, l'impact de sa hausse résultant les déficits futurs.

Contrairement à ce que l’on entend, la charge de la dette française  va donc baisse dans l’avenir. L’ampleur de cette baisse sera toutefois variable et dépendra de la poursuite ou non de la pratique des primes d’émission qui consiste à proposer aux investisseurs des titres portant des taux supérieurs à ceux du marché. En les souscrivant, ils payent d’avance le surplus des intérêts qu’ils percevront durant toute la durée de l’emprunt. Le 1er décembre dernier, la France a ainsi émis un emprunt à 25 ans portant un intérêt de 4.5%, certes pour un montant modeste de 1,8 milliard. Mais elle a empoché une prime de 1,2 milliard égale à la différence, sur toute la durée de l’emprunt, entre le taux du marché au moment de l’émission, d’environ 0,8% et les intérêts qui seront versés. Cette pratique, dénoncée par la Cour des Comptes, portait sur des montants très faibles jusqu’à la crise de 2009. Elle s’est ensuite étendue pour atteindre environ 5 milliards par an jusqu’en 2014. Puis elle a explosé en 2015 avec 25 milliards, record qui sera battu en 2016. Elle est atypique et représente le double de la moyenne de la zone euro et n’est pas pratiquée par l’Allemagne, ce qui montre que les arguments donnés par l’Agence France Trésor en réponse à la Cour des Comptes sont peu convaincants. Or les primes perçues (supérieures à 1% du PIB  en 2015 et 2016) ne sont pas comptabilisées dans le calcul du déficit de l’année mais les intérêts artificiellement élevés le seront les années suivantes. L’avantage réside dans une réduction des besoins de trésorerie de l’Etat et du calcul de la dette globale. Il est d’autant plus mince que du fait de la politique de la BCE, durant toute l’année 2016 et cela perdurera en 2017, la France bénéficie de taux d’intérêt négatifs pour ses besoins à court terme. L’Etat s’inflige ainsi une double peine.

Il n’y a donc aucune chance pour qu’avant très longtemps, on assiste à une remontée de la charge de la dette publique de la France, même s’il y avait une hausse des taux d’intérêt à long terme significative, laquelle est en outre hautement improbable du fait des décisions que la Banque Centrale Européenne a annoncées cette semaine. Durant les cinq prochaines années, ce sont plus de 300 milliards d’euros de dette de l’Etat qui vont être amorties et refinancées à des taux deux à trois fois inférieurs, ce qui sera largement de nature à réduire l’impact d’une éventuelle hausse. Nos dirigeants politiques, plutôt que d’agiter des menaces sans fondement feraient mieux de s’informer sur les pratiques de financement choisies par l’administration et sur les données relatives à notre endettement. Cela leur éviterait de tenir des discours démobilisateurs qui contribuent à affaiblir notre économie.